De quoi est fait l’amour de Mila et Javier ? Bien que les époux multiplient les signes extérieurs de passion, câlins sous la couette, jeux de gamins et escapades interdites, le ver dans le fruit se fait vite percevoir. Ils officient tous deux dans le même hôpital comme chirurgiens du cœur, mais cela ne les rapproche pas, bien au contraire : quand les problèmes d’alcool de Javier se font trop voir, le voilà interdit de bistouri tandis que sa femme continue, le malentendu est inévitable. Alors ils restent ensemble coûte que coûte, mais ils n’ont guère en commun que le refuge dans le déni. Javier refuse sa mise à l’écart, crie au complot et soupçonne sa femme d’en être. Mila ne veut pas voir qu’ils vont droit dans le mur, finit par mentir à tout le monde à commencer par elle-même, quitte à se contredire, imaginant par exemple unilatéralement — et imposant l’idée à son homme, pour se raviser peu après face à d’autres — qu’un voyage en Amérique du Sud pourrait tout réparer. Entre eux, chaque étreinte, chaque jeu ne semble là que pour soulager un malaise qu’ils n’osent formuler. Et la grossesse nouvelle de Mila ne fera qu’ajouter au drame des illusions contrariées…
De quoi est fait l’amour de Mila et Javier ? Ou l’amour, tout simplement ? Qu’est-ce qui réunit, au fond, un homme et une femme ? Trop rares sont les cinéastes — a fortiori les Français — qui osent considérer ces questions sous leur caractère inconfortable, tant est forte la tentation des certitudes faciles et vagues. C’est le principal mérite du nouveau film de Marion Laine (Un cœur simple) : tâcher d’articuler à longueur de film, sans compromis ni déchets, au moins dans son scénario (librement adapté du livre Remonter l’Orénoque de Mathias Énard), cette part d’illusion funeste qui fait tenir le couple. Le jeu habité des acteurs Binoche et Ramírez y est aussi pour beaucoup, leur pantomime des amoureux se trouvant mise en perspective sous l’angle d’une comédie désespérée pour la survie. Cependant, si l’écriture est d’une louable ambition, la façon dont la caméra approche ce couple en péril s’avère moins ferme, plus hésitante. Laine filme ces amants « ensemble mais séparés » en tâchant de les réunir dans le cadre ou de les opposer par des champs-contrechamps (les deux effets pouvant finalement amener à pointer le conflit conjugal, qu’il soit patent ou larvé). Mais certains recours un peu abusifs au champ-contrechamp laissent penser que la réalisatrice, à ces moments, s’est laissé distraire par une fascination pour les performances individuelles de ses acteurs, particulièrement Binoche la plus volontariste (néanmoins parfaite ici, autant de son propre fait que de par l’usage qui est fait d’elle).
Et puis, il y a cette dernière partie plutôt étrange où, sans que le scénario ne le justifie fermement (on ne dévoilera pas ici comme il l’amène, mais le mobile est discutable), le film décide de s’échapper dans le rêve, la perspective d’une harmonie enfin atteinte, rompant avec la fermeté précédente. Porte de sortie offerte aux personnages, ou désir d’inclure dans ce drame un peu d’espace exotique ? En tout cas, Laine, scénariste inspirée mais réalisatrice assez limitée, ne marque pas vraiment le coup face à cette surprenante dernière partie, qu’elle laisse ainsi à l’état de conclusion plutôt vague, à l’ambiguïté facile et au soulagement commode, aux tourments des personnages. Au vu du travail en cours depuis le début (et dont le résultat reste recommandable), c’est plutôt dommage.