Amelia Earhart méritait-elle une bio filmée ? Pourquoi pas : les exploits de la première femme aviatrice à une époque où l’on préférait célébrer un homme – Charles Lindbergh – sont assez peu connus, du moins de notre côté de l’Atlantique. La véritable question, en fait, revient sans cesse : où se niche l’intérêt de ce genre cinématographique très particulier, résultant souvent dans des films coincés entre l’hagiographie ridicule et le « tiré d’une histoire vraie » forçant les acteurs à un mimétisme vide d’enjeux artistiques ? Mira Nair a tenté d’éviter les pièges, sans toutefois se risquer à renouveler les codes ; Amelia échoue alors dans l’ennui le plus profond – et 1h50, c’est long quand on s’ennuie.
« Qui veut d’une vie emprisonnée dans la sécurité ? », rétorque Amelia, aviatrice et exploratrice carrément casse-cou, à ceux qui lui pointent les dangers de ses aventures. On a compris : Amelia Earhart est un symbole de liberté, d’indépendance, d’amour du grand air (et en plus, elle vole, bingo) dans ces années 1920 – 1930 où certaines femmes font entendre la voix de l’égalité des genres. Amelia porte des pantalons, a les cheveux courts, ne veut pas se marier (mais se marie quand même pour faire plaisir à son petit ami), affiche ses liaisons au grand jour et surtout menace l’orgueil masculin en montrant qu’elle peut faire aussi bien qu’un homme. Premier exploit : une traversée de l’Atlantique à la manière de Lindbergh, New York-Paris. Puis une traversée de l’Amérique. Puis tour du monde qui malheureusement s’achèvera par sa mystérieuse disparition en vol, en 1937, au-dessus du Pacifique.
Comment exploite-t-on un tel sujet lorsqu’on est une cinéaste confirmée comme Mira Nair, connue pour naviguer avec facilité entre son pays natal, l’Inde (Salaam Bombay !, Le Mariage des moussons, Kamasutra, Un nom pour un autre) et le cinéma occidental (Vanity Fair, New York I Love You) ? Les problématiques sont immenses : penche-t-on plutôt vers une découverte des soubresauts de l’aviation ? Un plaidoyer féministe ? Une métaphore lyrique sur la solitude des airs et l’immensité du monde ? Une romance entre un homme qui a les pieds sur terre et une femme qui monte au septième ciel ? Amelia donne l’impression de vouloir tout traiter à la fois, mais sans s’engager véritablement d’un côté ou d’un autre, pour éviter sans doute l’accusation de l’éloge disproportionné. Le tout résulte en un patchwork peu clair de scènes montées chronologiquement (et une séquence d’introduction en flash-forward pour le générique), passant d’une histoire à l’autre à une vitesse folle : Amelia rencontre l’homme de sa vie, Amelia se marie, Amelia a une concurrente, Amelia discute avec Eleanor Roosevelt, Amelia a un amant puis le quitte, et Amelia disparaît après son petit tour touristique (Afrique, puis Inde évidemment).
Pour parler vulgairement, Mira Nair se tire une balle dans le pied en refusant de faire d’Amelia une véritable héroïne – tant pis pour Hilary Swank, qui n’y trouvera pas cette fois un rôle à oscar. Son film prend l’aspect d’un docu-fiction historique en choisissant d’éviter tout débordement de sentiments. Même la jolie scène finale, où l’on entend l’aviatrice donner sa position à la base qu’elle est censée rejoindre comme dernier signe de vie, joue en défaveur du film. On ne sut jamais ce qu’il advint de la véritable Amelia Earhart, puisque son avion ne fut pas retrouvé : peut-être vécut-elle encore longtemps dans une île du Pacifique, sous un autre nom (ah, les légendes urbaines!). Ici, peu nous chaud : qu’Amelia réussisse ou non son tour du monde avait cessé de nous intéresser depuis belle lurette. Qu’elle « revienne » à son mari (interprété par Richard Gere, acteur toujours aussi peu pourvu de personnalité) comme elle lui a promis, ou pas, qu’importe ? Amelia a au moins le mérite de dynamiter le genre de la bio filmée, en montrant sa parfaite inutilité : non seulement n’a-t-on pas appris grand chose sur la grande aviatrice américaine, mais le film ne donne ni envie d’en savoir plus, ni d’en écrire plus.