En France, pour intégrer un centre de formation, un jeune footballeur ne le doit qu’à son talent. En Afrique, il faut payer, encore et encore, système inversé où des négriers d’un nouveau genre exploitent l’espoir d’échapper à la misère et de devenir le nouveau Didier Drogba. Plongée dans les tréfonds d’une planète football qui tourne décidément à l’envers.
Ça commence très fort. Les images s’enchaînent. Les symboles se répondent. Didier Drogba assailli à son arrivée dans un aéroport africain. Son visage peint sur le cul d’un camion conduisant de tout jeunes Ivoiriens vers leur terrain d’entraînement. L’avalanche de luxe d’un côté, le dénuement de l’autre. Cette passion sur le visage des enfants, où le football est d’abord un jeu, cette folie sur celui des adultes, où le ballon rond est surtout devenu une question de gros sous. Tout est dit en quelques scènes.
La suite est davantage en dents de scie. Le côté conte fonctionne moyennement. L’histoire d’Ananse, araignée qui trompe et manipule les hommes, est mignonne sans plus. Les apparitions dessinées de l’arachnide font certes sens avec le propos du film, le soulignent parfois très bien (la comparaison entre une toile d’araignée et un filet de but), mais finalement ne sont pas loin du cliché rebattu. Toute histoire se déroulant en Afrique doit-elle forcément être renvoyée à un conte ? Ne peut-on parler du continent africain sans verser dans le folklore ? Ne peut-on pas filmer moderne ?
De même, les passages animés détonent un peu par rapport à l’ensemble. Ils complètent l’absence d’images − la cohue ayant entraîné la mort de spectateurs avant le match Côte d’Ivoire-Malawi en vue de la qualification pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud − ou versent dans l’allégorie − les séquences se situant dans la réplique de la cathédrale gigantesque construite par le président Houphouët-Boigny. Mais ils se révèlent souvent comme de malencontreuses digressions, hachant le récit plus qu’ils le nourrissent, circulant à la périphérie du sujet sans en toucher le cœur.
C’est un peu comme si Pascale Lamche semble ne pas croire à la force de son filmage et cherchait des points d’appui extérieurs, alors que sa réalisation n’en a pas vraiment besoin. Elle se tient très bien toute seule, est de qualité, réellement cinématographique et non pas télévisuelle comme encore un trop grand nombre de documentaires sortant en salles, avec une photographie d’Olivier Raffet parfaitement maîtrisée, frontale, scrutatrice, s’attardant sur les visages, y puisant la vie jusqu’à susciter le malaise, chez le filmé comme chez le spectateur.
Ou comme si elle doutait de son enquête. Alors qu’elle dresse un constat édifiant du foot-bizness. Il faut voir Cyrille Domoraud, ancien joueur de Bordeaux ou de Marseille, avec sa montre de parvenu, et son Hummer flambant neuf. Il faut l’entendre s’exprimer comme un parrain mafieux, à vouloir faire respecter son territoire, doigt tendu et menace claire, à conserver la mainmise sur son cheptel, entassé dans un dortoir, traînant des sacs de ballon dans une ancienne palmeraie — image superbe et terrible.
Il y a aussi ce réseau ASPIRE qui sillonne le continent africain sur ordre du Qatar à la recherche d’un autre Samuel Eto’o pour le faire naturaliser au royaume des pétrodollars et consolider leur ambition d’organiser la Coupe du Monde 2022. Qui distribue maillots et ballons, avec le masque du bénévolat, alors que le but de l’opération n’est que mercantile, ne servant qu’à tester à grande échelle une génération de footballeurs, et d’en devenir les agents, tel Josep Colomer, ancien directeur du centre de formation du FC Barcelone, caricature du colon sur le retour, paternaliste à souhait.
Certes l’investigation ne permet pas de saisir tous les tenants et aboutissants d’un système corrompu jusqu’à la moelle, qui tire les ficelles, qui sait et ne veut pas voir. Dans ce cloaque, à signaler combien il est rafraîchissant de suivre le courageux journaliste Anas Aremeyaw, sorte d’Albert Londres ghanéen, toujours prêt à porter la plume dans la plaie, et d’ailleurs salué pour sa quête de vérité par le président Obama, lui-même figure récurrente du film, son effigie porté sur les t‑shirts, comme un poing tendu face à la déréliction, comme un cri d’espoir en l’avenir.
Mais le constat est limpide, déjà dressé dernièrement dans le livre de Maryse Éwanjé-Épée, Les Négriers du foot, s’appuyant lui sur le devenir des jeunes footballeurs envoyés à l’étranger, en France notamment, devenant sans-papiers, coincés faute d’argent pour payer l’argent du retour. Il renvoie le monde du football à ses errements, criant chez nous depuis le désormais fameux épisode du bus, où l’individualisme des joueurs, l’inconséquence des instances dirigeantes et une certaine folie médiatique ont conduit à l’implosion en direct d’une équipe nationale.
Il interroge notre société dans son ensemble, le sport n’étant qu’un miroir déformant d’un mode de fonctionnement plus global. La guerre de chacun contre chacun est érigée en règle. L’argent est roi. Le cynisme devient la norme. La réussite sociale se mesure à la couleur de sa carte bancaire. Les faibles deviennent objets aux mains des puissants. Le lien social se distend. La notion de collectif s’étiole. Certains y verront un continuum de l’histoire humaine peu encline à se forger un destin commun. D’autres, une folle accélération, une légitimation des bas instincts, comme aux pires époques.