Thème récurrent du cinéma, les liens familiaux offrent la tension dramatique et la complexité psychologique et relationnelle inhérentes à toute interconnexion humaine. Microcosme où le non-dit et les tabous règnent en maître, la famille, et plus précisément la fratrie, sert de terrain expérimental à Nathan Nicholovitch. Avec Casa Nostra, il explore ce qui fonde cet attachement charnel, entre attraction et répulsion.
Trois trentenaires, entre Rome, Lyon et Marseille, cherchent leur vie. Couple à la dérive pour Hélène, échec sentimental pour Ben et incapacité à s’engager pour Mathilde. Embarqué dans un road-movie intimiste pour rejoindre leurs parents, le trio se redécouvre.
Casa Nostra (« notre maison » en italien) fait écho à une autre famille transalpine, la mafia, où la violence des échanges et l’indéfectibilité à un clan rappellent étrangement les rapports entretenus par la fratrie. Monolithe émotionnel insondable, chaque personnage bataille avec ses démons, comme autant de traumas enfantins non résolus. Centré autour d’Hélène, la seule à avoir créé sa propre famille (elle est mère d’une fillette et potentiellement enceinte), le film oscille entre confidences et souvenirs, mal-être et bouffées d’optimisme. Mais l’intelligence de Nathan Nicholovitch, qui réalise et a écrit le scénario et les dialogues du film, se révèle surtout dans sa capacité à universaliser ce portrait de famille. Le choix du noir et blanc efface la notion de contemporanéité pour se placer d’emblée dans un passé indéfini, rappelant les photos de famille du siècle dernier, nostalgiques et poétiques. Fort de ce parti pris, il enfonce le clou par un brouillage systématique des objets permettant une quelconque datation. Une vieille cabine téléphonique voisine avec un portable, la machine à écrire de Ben, dramaturge de son état, cohabite avec une bouilloire électrique dernier cri. Dans ce petit théâtre des âmes, chaque personnage est un archétype, chaque séquence un miroir tendu aux propres souvenirs des spectateurs.
Fonctionnant sur les névroses des trois personnages en quête d’amour, Casa Nostra n’oublie pas que la famille existe principalement sur la mémoire qui lie chacun de ses membres. Rejouant des scènes enfantines (une course improvisée, un chahut aquatique intempestif), le trio retisse les fils de leur vie commune alors que leur père, socle clanique absolu, disparait, les laissant orphelins et définitivement adultes.
Usant du deuil comme d’un révélateur de failles émotionnelles et structurant son métrage comme un lent retour aux origines (le motif du voyage concrétisant cette odyssée), le réalisateur invite le public à un retour sur soi, sur l’incommunicabilité et l’amour paradoxal qui cimentent une fratrie, sur ce pire ennemi psychanalytique et pourtant unique point d’ancrage qu’on appelle famille.