Journal filmé, Cloud Rock, mon père relate les retrouvailles, après quinze ans de silence, entre un père hippie et son enfant aujourd’hui adulte. Narré par le fils, ce portrait on the road d’un père irresponsable est un voyage psyché doublé d’une sensible approche des arcanes de l’idéalisme hippie et son envers problématique, l’individualisme forcené.
L’originalité du récit de Cloud Rock tient au fait qu’il se conjugue au présent, par une randonnée à vélo dans le beau décor du volcan Mont Saint-Helens, entre Portland et Seattle. La balade de ces deux « étrangers » qui sont ici venus renouer leur lien figure donc un nouveau point de départ (et de frottement). Or, et alors que le fils a évolué dans un univers dit normal, civilisé, le père, a depuis 70 ans, privilégié une existence marginale, faite de drogues et de nourritures mystiques. Ce mode de vie a entraîné dans son sillage des manques affectifs du côté de l’enfant qui, aujourd’hui encore, éprouve de l’amertume quant à son irresponsable paternel. C’est partant de ce ressentiment, ces questions suspendues à une vie orpheline, que nos deux hommes vont se côtoyer, avaler les kilomètres et faire ressurgir, de chaque côté de l’objectif, leurs distances.
Cloud Rock, mon père traite d’un sujet assez peu courant au cinéma. A l’opposé des fictions de filiation, originale est la manière dont ce portrait inverse, par le biais de ce père fumeur de ganja et indécrottable mystique, des rapports vus et revus. Ainsi, si les années ont passées, Cloud Rock est resté fidèle à ses idéaux. Et s’il a fait des enfants, « engendré » comme il le dit, il leur a préféré sa liberté d’homme, son insularité nourrie d’excentricités et de randonnées cyclistes. Les photos d’un Cloud Rock barbu ressurgissant du passé en parallèle de ce visage vieilli représentent donc un esprit conservé. Or, le fils et réalisateur, par la voix-off, casse rapidement toute tendresse que pourrait exercer une telle disposition d’esprit. Par le récit de son enfance passée sans père, les entretiens réalisés avec l’entourage familiale, Kaleo La Belle marque ses distances. Au détour d’une rencontre (le beau-frère du réalisateur littéralement perché par des champignons pris très tôt dans sa jeunesse avec son père), on verra comment l’irresponsabilité de Cloud Rock a entraîné, derrière elle, des dégâts collatéraux.
Riche est donc le sujet d’un tel documentaire. Or, on pourrait émettre quelques jugements sur la manière dont Kaleo La Belle décline ses interrogatoires et use de sa position de filmeur. Sa vision des choses (difficilement pénétrable) a souvent tendance ici à rejouer un côté inquisiteur qui pourra lasser. Face à cela, le père ne tombe, lui, jamais dans le panneau qu’il lui tend et, avec un sacré mélange de sincérité et d’hypocrisie, expose ses arguments en faveur d’une existence indépendante. Et c’est finalement dans cette double confrontation, où chacun porte ses ressentiments, que le film soulève ses meilleures questions. Enfin, s’il a pour sujet les relations père-fils, Cloud Rock est aussi une charmante visite de la géographie américaine. Ainsi, lorsque à l’aube, la balade cycliste reprend, le réalisateur soigne des captures en phase avec l’esprit narcotique, sous influences, de son père. Caméra embarquée sur le bitume, plans sur des falaises décimées ou tourbillonnant vers la cime des arbres, tout ici est admirablement rendu et suspendu à l’écho planant des compositions pastorales de Sufjan Stevens. Jusqu’à cette conclusion, une photo sonore, drôle et touchante.