L’affiche française de Hold-up nous promet un braquage « inspiré de faits réels », livré « par le réalisateur d’Insomnia » et « 51 millions jamais retrouvés ». Précisons donc d’emblée que les 51 millions en question sont des couronnes norvégiennes, pas des euros, et que le réalisateur d’Insomina n’est pas, en l’occurrence, Christopher Nolan, mais l’auteur de la version originale du film, Erik Skjoldbjærg. Quant aux faits réels, plutôt que d’inspirer le film, ils lui tiennent lieu de seule et unique substance.
Cela commence pourtant bien : le premier personnage que nous découvrons se frictionne violemment sous la douche avant d’enfiler une tenue de combat puis de rassembler toutes ses affaires en un compact rouleau, qui sera détruit. Erik Skjoldbjærg nous fait suivre pas à pas les méticuleuses étapes qui vont conduire une bande d’hommes suréquipés au seuil de la banque Nokas, dans la ville de Stavanger. De la fidélité du film aux faits réels, soulignée de façon assez agaçante par l’inscription à l’écran des noms de tous les personnages, découle une forme de réalisme qui renouvelle (superficiellement) le genre du film de braquage.
Si l’on a l’habitude de voir au cinéma un plan d’action bien huilé enrayé par des événements imprévus, dans Hold-up, la résistance du réel se manifeste par des détails pittoresques : ainsi, au moment de pénétrer dans la banque, les braqueurs se heurtent à une vitre particulièrement résistante. Sa destruction, qui ne devait prendre que quelques secondes, leur demande des efforts inouïs et donne lieu à une scène presque burlesque : l’épisode, en plus d’être interminable, se déroule sous les yeux des employés de la banque se trouvant de l’autre côté de la vitre. Dans le même registre, il est assez inhabituel de voir des voleurs ployer sous le poids de leurs sacs de billets ! Skjoldbjærg relève par ailleurs le fait assez perturbant que la vie suive son cours de façon quasi normale autour de la banque attaquée. Alors que braqueurs et policiers échangent des coups de feu, les passants continuent à aller et venir, croyant à une simulation. Plutôt que de construire un monde fantasmatique autour des malfaiteurs, le réalisateur parvient à faire ressortir comme rarement la continuité de l’événement que constitue le braquage avec le quotidien de chacun‑e, et celui de la ville en tant qu’entité.
Dans ces moments, où la fidélité au réel contredit les codes du genre et ralentit l’action, Hold-up suscite l’intérêt. Mais ils ne pèsent pas lourd au sein d’une œuvre imprégnée du malaise avec lequel Erik Skjoldbjærg aborde son sujet. On sent tout le film déterminé par une sorte de crainte que le spectateur ne s’identifie aux braqueurs, alors même que son sujet est d’abord leur action. Omniscient, le point de vue ne cesse de se déplacer sans jamais introduire d’enjeu profond et continu dans les scènes qui se succèdent, sans jamais créer de personnage, sans que jamais le réalisateur ne montre le moindre signe d’implication dans son récit. Tout le film semble pénétré d’une peur de la fiction évidemment absurde lorsque l’on fait du cinéma, même documentaire. On imagine le réalisateur d’abord excité à l’idée de faire un film sur « le plus grand braquage de l’histoire de la Norvège », puis honteux d’utiliser un événement dramatique pour produire un objet de divertissement et tentant de se dédouaner en mettant l’accent sur une fidélité au réel. On imagine également qu’à force de s’attacher à la précision de la reconstitution, Erik Skjoldbjærg a fini par craindre que son rôle d’auteur ne se fasse trop oublier. Cela pourrait expliquer certains choix assez étranges : des allers-retours temporels qui paraissent gratuits, une caméra portée qui s’approche excessivement des personnages, créant avec eux une proximité factice au regard de la froideur du récit.
Ces vaines tentatives ne masqueront pas une vacuité bien réelle, qui culmine dans la conclusion du film : Skjoldbjærg abandonne purement et simplement les braqueurs à un sort inconnu et s’attarde sur la découverte du corps inanimé d’un policier, tué dans la fusillade. Une série de photographies vient ensuite démontrer que la mise en scène a strictement imité les faits. Faut-il en être fier ? Enfin, un texte nous apprend, entre autres choses, que les employés de la banque ont reçu une compensation pour leur épreuve. Nous voilà rassurés.