On aime Jérôme Bonnell pour son cinéma légèrement décalé, faussement naturaliste : il y avait de la fantaisie chez les adolescents désarmés du Chignon d’Olga, du fantastique dans les délires de l’héroïne des Yeux clairs, de l’absurde dans les atermoiements des personnages de J’attends quelqu’un. En optant pour une veine plus sombre, le jeune cinéaste quitte brutalement le virage « grand public » opéré avec son précédent long (budget confortable, acteurs connus, scénario choral) pour se frotter au film de genre et confronter son style encore naissant aux codes d’un genre ultra-balisé. Outre ses comédiens fétiches (Nathalie Boutefeu, Marc Citti, Jean-Pierre Darroussin), il donne pour l’occasion le premier rôle à la jeune pousse révélée dans Le Chignon d’Olga en 2002, Florence Loiret-Caille, devenue l’un des plus beaux espoirs du cinéma français : huit ans après, le cinéaste et sa muse ont-ils encore de jolies choses à (se) raconter ?
Pour la comédienne, le rôle est croustillant : celui d’Argine, jeune femme un peu déglinguée qui vit en colocation avec son frère, Aurélien (Malik Zidi, que l’on désespère de voir un jour rencontrer le succès qu’il mérite). À peine sortis de l’adolescence, les deux orphelins cohabitent tant bien que mal, l’austérité de l’un s’accommodant difficilement de l’hystérie de l’autre. De leur relation douloureuse et ambigüe, Aurélien ne retire que l’instinct quasi animal de protéger sa sœur, un peu trop portée sur la bouteille et les mauvais garçons, comme l’étrange Loïc (Marc Barbé). Pour mettre du beurre dans les épinards, Aurélien fourgue du métal volé avec la complicité d’un type un peu louche, Simon (Darroussin). Mais un soir, Simon réclame de l’argent à Aurélien…
Comme dans ses précédents films, Bonnell plante le décor : la province pas très glorieuse, napée pourtant d’une attachante mélancolie. Des bars un peu miteux où traînent quelques piliers au cœur gros, aux maisons trop grandes pour contenir le vide de vies déboussolées, tout semble dénudé, dépouillé de tout charme et tout artifice. Ici, le genre (le polar, donc) détermine le choix de codes visuels qui, d’emblée, plongent le film dans une ambiance attendue. Sans vraiment lasser, la mise en scène se contente de coller platement aux effets de rigueur. Hélas, les partis pris scénaristiques ne relèvent pas le niveau : l’intrigue, archi-convenue, est à peine compensée par des personnages à la peine, auxquels on tente désespérément de s’attacher. Car si la vague intrigue policière est un McGuffin lourdaud, l’épaisseur psychologique du drame qui se joue en arrière-plan (une passion amoureuse déplacée, what else ?) n’est guère plus passionnante : la faute à un personnage féminin insupportable d’hystérie grossière, dont les gesticulations épuisent toute possibilité d’empathie. Il y a bien deux ou trois scènes réussies, principalement celles qui se jouent entre Aurélien et une jeune femme qui lui plaît bien (Nathalie Boutefeu, aérienne), parce que l’on y retrouve la grâce qui faisait la réussite des précédents longs métrages de Jérôme Bonnell. La noirceur du polar ne sied pas au teint du jeune cinéaste : qu’il revienne vite à ses chroniques désenchantées, et l’on ne lui tiendra pas rigueur de ce faux-pas pas vraiment honteux, mais vraiment insignifiant.