Vingt-deux ans après avoir écrit le scénario de L’Œil au beur noir (Serge Meynard, 1987), sur les difficultés d’un Noir et d’un Arabe à louer un appartement à Paris, Jean-Paul Lilienfeld se penche sur la situation des enfants de banlieue issus de l’immigration dans La Journée de la jupe. Lilienfeld a beaucoup de choses à dire, mais seulement une heure trente à sa disposition pour nous faire comprendre la difficulté de l’enseignement en ZEP et la violence polymorphe d’une jeunesse noyée dans ses propres contradictions.
Belle idée
Quelque part en France, une banlieue comme on en connaît tant. Un établissement scolaire au milieu d’une cité HLM, comme au Luth, à Gennevilliers (92) par exemple, la ville natale d’Isabelle Adjani. La ténébreuse et mystérieuse Adjani, au corps alourdi, plie sous le poids des tourments de Sonia Bergerac, professeur de français dans un collège difficile. Comment intéresser des ados guidés par leurs hormones, la mode, la société de consommation et les codes de la cité au Bourgeois gentilhomme et à un certain Jean-Baptiste Poquelin ? Sonia Bergerac n’en peut plus de cette jeunesse pluri-ethnique qui ne jure que par le Coran sans en connaître les textes. Mais ça en banlieue, ça ne se dit pas… Sonia Bergerac est une prof à l’ancienne, qui porte des jupes et des chaussures à talons. Mais ça en banlieue, ça ne se fait pas…Pour tenir le coup face à ces jeunes toujours dissipés, toujours provocants, obsédés par le sexe, la télévision et la téléphonie, Sonia Bergerac prend des anti-dépresseurs et s’égosille dans le vide. Alors quand un revolver tombe du sac d’un élève, elle s’en saisit et prend la classe en otage. Eh oui, les jeunes, Sonia Bergerac, fallait pas l’énerver comme ça ! Eh oui, Madame la Ministre de l’éducation, Sonia Bergerac, fallait pas la laisser comme ça !
La Journée de la jupe repose sur une vraie bonne idée de départ. À l’heure où l’on veut réduire la durée du stage pratique des futurs enseignants du secondaire d’un an à trois mois seulement, ce film présente de façon frontale, sans détour aucun, la galère des profs en zones sensibles, enlisés dans des situations dépassant de loin le champ officiel de leurs compétences. La prise d’otage, forme d’appel à l’aide, crée une ambiance de huis clos psychologique. Ce dispositif permet d’aborder de façon originale et presque anthropologique un sujet important : « comment comprendre ces “jeunes de banlieues”, souvent déchirés entre deux cultures, et comment les persuader de la légitimité et de l’importance de leur place dans un système éducatif laïque et républicain ? » Le temps de la prise d’otages, dans la salle polyvalente où prof et élèves sont enfermés, des idéologies se confrontent, des personnalités se révèlent, des vérités douloureuses sont exprimées, des non-dits sont levés. Personne ne sortira vraiment indemne de cette longue confrontation.
Tâtonnements
L’enfer serait-il donc vraiment pavé de bonnes intentions ? On est tenté de le croire, en voyant de quelle manière Jean-Paul Lilienfeld massacre un si beau sujet et une si belle idée. La Journée de la jupe est un film démagogique et verbeux : vous n’échapperez à aucun poncif sur les jeunes de banlieue ! Tous les problèmes des cités, emplissant régulièrement les émissions de reportages, sont présentés à la chaîne. Bienvenue à Thoiry, où chaque individu est réduit à un stéréotype à la psychologie minimale : le petit caïd séducteur et grande gueule, le timide mal dans sa peau, la fille au physique peu enviable, la blédarde au grand cœur… Grâce à ce florilège d’ados en crise, sont mis à jour progressivement les défauts, voire les tares, d’une génération jugée décadente et insensible, d’un groupe social jugé ingérable… Le tableau est tout sauf flatteur. Il est juste de vouloir mettre en lumière les problèmes de la banlieue et de sa jeunesse sans l’édulcorer. Mais le tableau obtenu, d’un pessimisme abyssal, nous oblige à nous interroger sur la thèse du film : s’agit-il de plaindre cette jeunesse, de la stigmatiser encore plus ou de la diaboliser totalement ? La maladresse d’une mise en scène très théâtralisée et figée, baignée dans une lumière fade, ne nous aide pas à saisir les intentions du réalisateur, qui doit pourtant comprendre les difficultés d’épanouissement et de positionnement culturel et social de cette génération.
Dans la succession de dialogues inégaux (tant dans leur qualité de formulation que dans leur pertinence) que constitue le scénario, certaines scènes retiennent l’attention en tentant de développer un propos plus critique. Ainsi Sonia Bergerac profite de la prise d’otages pour engager le dialogue avec ces adolescents qu’elle ne comprend plus. Elle place les garçons face à leurs propres contradictions, dans leur façon d’envisager leurs relations avec les filles. Elle dénonce l’archaïsme et la violence de leur système de valeurs. Les garçons, forcément virils, seraient tous des « bêtes de sexe », mais les filles, pour être dignes et respectées, devraient rester vierges jusqu’au mariage. Aussi l’apprentissage sexuel des garçons passerait-il souvent par le viol collectif, réunion virile et rituel initiatique pour les petits mâles des cités. La brève évocation des « tournantes », pendant une dizaine de minutes, apparaît comme un passage obligé parmi d’autres, permettant d’arracher quelques larmes aux spectateurs. Sur cette question, mieux vaut revoir La Squale (Fabrice Genestal, 2000), un film de banlieue qui se concentrait uniquement sur ce problème − bien réel, mais impliquant tout de même une minorité d’individus dans les cités.
Dérive
Les jeunes acteurs de la classe de Mme Bergerac flirtent avec la caricature poussive. Tout dans leur jeu fait composé : les voix, les postures, les placements. La direction d’acteurs est un art intuitif et complexe. Tout le monde n’a pas l’habileté d’Abdellatif Kechiche (L’Esquive, 2004) ou de Laurent Cantet (Entre les murs, 2007) pour mettre en scène de façon naturelle des adolescents au langage très codé. On retiendra seulement la belle composition de Sonia Amori dans le rôle de Nawel, une jeune « blédarde » sensible au désarroi de Sonia Bergerac, consciente de l’incohérence des comportements de certains de ses camarades et capable de tenir tête à la violence des garçons dont elle dévoile la lâcheté. La jeune comédienne, vue dans La Commune (Philippe Triboit, 2007), série de Canal+ sur la banlieue, donne toute son énergie au groupe. Elle volerait presque la vedette aux acteurs plus chevronnés présents dans la distribution.
On peine en effet à être convaincu par la composition d’Isabelle Adjani en prof borderline, trop hystérique pour être effrayante. Quant à la distribution des rôles secondaires, elle est assez surprenante. La présence d’acteurs plus facilement associés à la comédie participe à l’hybridité générique d’un drame qui n’en avait pas besoin. Denis Podalydès incarne un brigadier de la police nationale, tiraillé entre deux activités de négociation : désamorcer la prise d’otage et empêcher sa femme de le quitter. Costume et répliques chargent le personnage d’un comique qui ne sied guère à la situation. S’il semble d’abord étonnant de voir Jackie Berroyer en principal de collège, on en vient finalement à se dire que dans un établissement sensible, le chef d’établissement peut bien être un peu frappé. Pourquoi pas ?… Pour compléter le tableau, Anne Girouard (la reine Guenièvre de la série Kaamelott) déboule dans les couloirs du collège dans le rôle de la gentille collègue. Si la jeune femme s’avère finalement plutôt juste dans ce rôle, il faut avouer que l’originalité des choix de casting ne facilite pas la crédibilité déjà fragile de cette fiction.
En bref
La Journée de la jupe ne nous propose qu’un saupoudrage de réflexion partielle et partiale sur les jeunes de banlieues et sur l’école laïque d’aujourd’hui. Qui connaît un minimum la banlieue actuelle et sa jeunesse n’apprendra rien avec ce film, dont le discours est alarmiste sans jamais tenter d’être constructif.