Inutile de ménager un suspense inexistant : La Proposition, nouvelle comédie romantique de chez Disney, n’est ni comique, ni même romantique. Cette sucrerie serait juste vaguement écœurante si elle ne reconduisait pas hypocritement, sous un vernis de fausse modernité, les mêmes valeurs immémoriales et légèrement faisandées qui ont fait la renommée de la firme de l’oncle Walt : familialisme et conservatisme.
Margaret règne sur une prestigieuse maison d’édition new-yorkaise ; elle y terrorise ses subordonnés et notamment son assistant, l’idéaliste Andrew. Mais Margaret est canadienne : menacée d’être renvoyée dans son pays d’origine par un fonctionnaire de l’immigration tatillon (ne cherchez pas de message politique sur l’inhumanité de l’administration américaine de l’après 11-Septembre : il ne s’agit là que d’un mauvais prétexte narratif), elle décide de forcer Andrew à l’épouser. Pour convaincre le fonctionnaire qu’il ne s’agit pas d’un mariage blanc, ils vont devoir jouer la comédie de l’amour devant la famille d’Andrew.
Bien entendu, ils finiront par tomber amoureux l’un de l’autre, ils se marieront pour de vrai et vivront heureux en ayant beaucoup d’enfants. Le ratage de La Proposition ne s’explique pas uniquement par la prévisibilité de ce dénouement, ni par le recours à des ficelles trop usées : on a déjà vu des films tout à fait honnêtes, voire recommandables, mitonnés à partir de tels ingrédients. Mais pour sauver une comédie romantique de la guimauve industrielle, il faut un sens du dialogue, du rythme et des situations dont Anne Fletcher (multirécidiviste à qui l’on doit déjà Sexy Dance et 27 robes) et son scénariste sont cruellement dépourvus. Dès lors, seuls d’excellents comédiens pourraient sauver le film, ou au moins le rendre regardable ; las ! autant Sandra Bullock ne s’en sort pas trop mal – malgré une inexpressivité faciale dont on ne parvient pas très bien à déterminer si elle est due à une absence de talent ou à des injections massives de Botox® –, autant son partenaire masculin, le fadissime Ryan Reynolds, dégage autant de sex-appeal qu’un Droopy sous anxiolytiques.
Passons donc sur le film lui-même, plus qu’anecdotique, et sur la mise en scène, inexistante, pour nous pencher sur ce que véhicule le scénario. Au premier abord, on songe au Diable s’habille en Prada : même portrait d’une maîtresse-femme qui tyrannise ses subalternes. Sauf qu’ici, le postulat de départ ne sera pas du tout exploité : malgré la terreur surjouée qu’elle semble inspirer à ses collègues, on ne verra jamais Margaret se comporter en dragon. D’autant que la caméra ne s’attarde pas bien longtemps sur le milieu professionnel ; n’espérez pas découvrir les rouages d’une grande maison d’édition en allant voir La Proposition, le véritable sujet du film est ailleurs. Comme l’immense majorité des comédies américaines, il fait l’impasse sur la question sociale (Andrew le sous-fifre, en plus d’être propre sur lui, sain et lisse, est l’héritier d’une famille richissime !) et s’en tient à l’éternelle guerre des sexes. Comme toujours, celle-ci se déroule à fleurets mouchetés et débouche sur la reddition sans conditions de la femme, conquise par les qualités viriles de son adversaire.
Ainsi, si le film d’Anne Fletcher fait mine d’intégrer la nouvelle donne sociologique qui voit les femmes arriver à des postes de responsabilité (mais jamais tout à fait au sommet : les deux supérieurs de Margaret sont des hommes), c’est pour mieux démontrer qu’elles n’y sont pas à leur place. Confrontée à la famille d’Andrew, étouffante de gentillesse et d’amour, l’orpheline Margaret, New-Yorkaise obsédée par le pouvoir et la réussite sociale, va s’apercevoir de sa solitude et comprendre la vraie valeur de l’engagement matrimonial. Elle sera aidée dans sa prise de conscience par la grand-mère d’Andrew, insupportable matriarche prête à tous les stratagèmes (jusqu’à simuler une crise cardiaque !) pour faire rentrer dans le rang les brebis égarées – un fils qui n’obéit pas à son père, une future bru saisie de scrupules qui menace de gâcher la noce. Ce gardien des valeurs de l’Amérique profonde et ce parangon de conformisme est d’autant plus terrifiant que le film veut en faire un personnage fantasque et attendrissant. Pour comprendre ce que pression familiale et psychologique veut dire, il suffit de voir comment le sourire de la grand-mère se fige en un rictus d’incompréhension quand Margaret fait mine de décliner le cadeau qu’elle lui tend (un bijou qui circule parmi les femmes de la famille depuis des générations et les enchaîne symboliquement à l’histoire de la famille), puis la manière dont ses traits se détendent quand la jeune femme, culpabilisée, accepte finalement.
Dès lors, la messe est dite, et les péripéties qui se mettent en travers de nos héros ne feront que retarder l’inévitable climax : Andrew ordonnant à sa supérieure de se taire, puis l’embrassant devant l’ensemble des employés de la firme, recevant applaudissements et vivats, et vivement encouragé hors champ par un collègue (masculin) : « Montre-lui qui est le patron ! » Ce que La Proposition et autres bluettes supposément inoffensives tâchent d’inculquer à leur cœur de cible féminin, c’est que si les femmes ont bel et bien le droit d’exercer le pouvoir, c’est à la seule condition de savoir l’abdiquer le moment venu.