Actrice italienne vue aussi bien dans Respiro, Hot Shots, Les Beaux Gosses ou 36 quai des Orfèvres, Valeria Golino a parcouru de nombreux territoires cinématographiques. Après un court en 2010, elle réalise son premier long-métrage et choisit un sujet fort, en adaptant librement un roman de Mauro Covacich sur l’euthanasie (publié sous le pseudonyme d’Angela Del Fabbro). Sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » lors du dernier festival de Cannes, Miele s’avère un film profond sur la souffrance et la solitude des vivants, même s’il parle sans détour de la mort.
Irène prétend être étudiante en doctorat. Mais lorsqu’elle s’échappe de son petit appartement, ce n’est pas pour aller voir son directeur de thèse comme elle le prétend. Irène devient Miele et se rend au Mexique pour acheter les barbituriques pour chiens qui permettront à ses clients, des malades en phase terminale, de mettre fin à leurs jours en toute discrétion et avec dignité. Cet ange exterminateur accompagne ceux qui n’ont plus rien à perdre dans la douceur et le respect, soucieux de leurs dernières volontés comme de la sécurité de leurs proches. Mais Irène est confrontée à un cas de conscience, quand elle découvre que son nouveau client n’est pas malade et souhaite mettre fin à ses jours lui-même. Les relations d’abord heurtées avec Carlo Grimaldi, vieil architecte solitaire, vont se muer en douce complicité. À mesure que leurs liens se font plus forts, Irène s’ouvre à sa propre souffrance.
Avec Miele, Valeria Golino porte un regard direct sur la mort sans chercher à statuer sur la question polémique de l’euthanasie. Par leur variété, les scènes d’accompagnement de fin de vie parviennent à esquisser la complexité de situations toujours différentes et intimes, douloureuses pour les proches comme pour leur organisatrice. La mise en scène construit le processus d’euthanasie comme un rituel profane, où chaque geste et chaque mot ont leur importance, leur place, leur rythme pour respecter le futur défunt et les témoins. Dans ces moments critiques, le film parvient à créer des émotions sans les jouer directement. Ainsi le déchirement des décès médicalisés n’est pas d’abord signifié par les larmes et les cris, mais par la précision de gestes de tendresse et d’amour, bien plus aptes à montrer une douleur sourde. Miele réfléchit aux moyens de montrer l’insupportable et propose chaque fois des alternatives différentes, comme pour signifier le caractère unique de chaque cas. Comment montrer l’immontrable ? La question est posée dans une scène où un adolescent lourdement paralysé, dont la vie a toujours été un calvaire, doit partir. Le sentiment d’injustice face à la situation de ce garçon est évident sans avoir à être dit. D’ailleurs, ce n’est un hasard si, cette fois-là, Miele se montre troublée pour la première fois par sa dure responsabilité.
Se tenir la juste distance pour mieux montrer, dévoiler sans insister. Voilà ce que tente la caméra de Valeria Golino, plutôt bien inspirée. La beauté de la photographie, avec ses couleurs froides, ses jeux de reflets, son doux usage du flou, participe à la finesse de cette approche. La sensibilité du film est aussi portée par l’omniprésence de son héroïne à l’image et par le nombre de gros, voire très gros, plans, qui rendent palpables sur la surface de l’écran la douleur de cet être au visage mélancolique, dont les émotions semblent contenues au risque de trop exploser. Miele puise sa force dans cette figure féminine mutique et calme, animée par l’interprétation tout en retenue de Jasmine Trinca, qui joue avec un regard tantôt fuyant, tantôt dur, et travaille la posture d’un personnage androgyne pour en signifier la maladresse et la gêne permanentes. Frêle et silencieuse, Irène s’efface pour se mettre au service des autres. Pour se souvenir qu’elle est encore en vie, elle se dépense encore et toujours. Ses activités sportives et sexuelles fréquentes et compulsives disent l’urgence de vérifier son énergie, de se souvenir des contours de son propre corps, d’éloigner la morbidité ambiante. Le vrai sujet du film, c’est bien elle : Irène, un fin visage pour seul masque, un regard vif pour seule protection, errant en silence aux portes de la mort sans pouvoir se confier à personne. Comme une éponge, Irène absorbe les tourments des êtres éteints sous ses yeux, mais son glissement vers la fatigue morale se fait de manière presque imperceptible. Comme une statue de pierre fissurée, Irène craque à petit feu sous l’effet de la porosité de la douleur d’autrui, un mal que les personnels médicaux connaissent bien. Combien de temps l’être humain peut-il être hermétique à la souffrance quand il la côtoie tous les jours ? Miele suggère la question sans jamais avoir à la poser, car le film ne cherche pas à démontrer, à dénoncer, à remettre en cause. C’est là toute sa finesse que de suggérer une réflexion sans jamais la baliser, sans jamais lister les composantes de sa problématique, contrairement à La Belle endormie de Marco Bellochio (2012) qui compilait avec une minutie explicite, presque maniaque, les tenants et les aboutissants d’un sujet polémique.
Certes, concentré sur son héroïne, Miele prend le risque de se replier sur lui-même. De fait, le film s’essouffle un peu en longueurs dommageables et s’égare dans la dramatisation superflue de la relation avec Monsieur Grimaldi, dont le dénouement sans surprise dévie l’ensemble de sa ligne subtile. Mais Valeria Golino peut se targuer d’une double réussite. Elle sait d’abord parler avec adresse d’un sujet tabou en laissant hors champ les questions religieuses dans une société italienne toujours marquée par les préceptes catholiques. Elle réussit aussi le portrait d’une prostitution d’un genre nouveau, avec un personnage qui ne vend pas son corps mais son âme, au risque de s’abîmer tout autant, dans un flirt dangereux avec l’illégalité et la mort, dans une valse intérieure avec des principes à redéfinir en permanence. Pour un premier film, le niveau de réflexion et de maîtrise est loin d’être insignifiant.