Avec N’aie pas peur, le réalisateur espagnol Montxo Armendáriz se place du point de vue d’une victime d’inceste, et aborde son sujet avec une impressionnante frontalité. Nulle construction en creux, nulle œillère : le réalisateur, habitué aux sujets dramatiques, se contentera juste de quelques ellipses pour aborder son sujet de plein fouet.
Sylvia a 6 ans, 14 ans, 25 ans. Pour un instant de vie, Sylvia est une petite fille heureuse, puis son père abuse d’elle. En parallèle, elle va grandir vers l’adolescence et vivre sa vie de jeune femme, avec une seule inconnue, centrale : y a‑t-il une issue pour elle ?
Aux premiers moments de N’aie pas peur, la confusion règne : avant que l’on ne comprenne que tous les fils temporels concernent la seule Sylvia, le film semble vouloir dépeindre à la fois le traumatisme d’une gamine violée par son père et les difficultés d’une jeune adulte à surmonter un traumatisme similaire. Bientôt, les ponts se tissent : il s’agit d’une seule et même personne. Même si cette correspondance est rapidement comprise, faire coïncider les temporalités est une idée formellement très pertinente. Ainsi, le spectateur sera-t-il, autant que Sylvia, saisi d’une impression d’étouffement, de panique, de vertige – le but affiché de Montxo Armendáriz est donc de susciter l’empathie du spectateur non pas du seul fait de son terrible sujet – donner à vivre l’agression incestueuse du point de vue de la victime –, mais bien de l’impliquer via ses choix formels.
Cela suppose, également, de ne pas s’autoriser d’œillère scénaristique : loin d’un traitement uniquement pathétique, Montxo Armendáriz choisit d’emprunter des chemins parfois très inconfortables – voir, à cet égard, la scène où, désemparée et désespérément en besoin d’affection, Sylvia jeune femme retourne se lover dans les bras de celui qu’elle fuit de toutes ses forces. Une même rigueur habite tout N’aie pas peur, avec l’intention ferme d’offrir un regard le plus objectif possible, en restant le plus loin possible de tout sensationnalisme. Cela passe, avant tout, par les effets de montage, qui surlignent les moments de vie qui nous sont donnés à voir : souvent, ceux-ci impliquent directement le traumatisme – insister dans cette voie eut, d’ailleurs, pu finir par aliéner son auditoire au cinéaste. Mais, lorsqu’il s’agit de plonger au plus profond de la détresse de Sylvia, N’aie pas peur ménage quelques séquences où le film plonge dans un onirisme ténébreux, mais qui offre quelques respirations à l’exposé orchestré par Montxo Armendáriz.
Le choix du comédien Lluís Homar dans le rôle du père est un choix très pertinent : on se souvient de sa performance dans Eva, en tant qu’androïde de maison, parvenant malgré son inhumanité et sa froideur à faire montre d’une réelle empathie. Perçu du point de vue de sa fille abusée, l’acteur dégage la même impression d’ambivalence, à la fois refuge inexpugnable, dispensateur de tendresse et monstre honni. Dans le rôle de la jeune fille, Michelle Jenner décroche son premier rôle dramatique de premier plan, s’avère plutôt convaincante.
N’aie pas peur dégage donc l’impression d’être un projet mûri, pensé, réfléchi, empreint d’une austérité qui permet d’aborder sans fléchir les aspects les plus inconfortables de son sujet. Malheureusement, cette froideur empêche également de susciter une véritable sympathie entre le film et son auditoire. Peut-être, eu égard à la teneur très éprouvante de son sujet, est-ce un choix conscient – et pertinent – de la part de Montxo Armendáriz.