L’adaptation cinématographie de faits divers est une vraie mine d’or pour les cinéastes et les scénaristes inspirés, pour peu qu’ils sachent s’éloigner de la reconstitution plate pour donner à leur récit un caractère métaphorique ou universel, ou condenser les fantasmes et l’atmosphère d’une époque. C’est ce que, parmi d’autres, parvenaient à faire Chabrol dans La Cérémonie et Laurent Cantet dans L’Emploi du temps. C’est aussi ce que vise Alix de Maistre en s’éloignant de l’anecdote d’origine et en recherchant une certaine épure. Hélas, ses intentions sont contredites par des choix scénaristiques malheureux et quelques maladresses de mise en scène.
Une femme gît prostrée au milieu de coupures de journaux : Catherine, la cinquantaine, ne se remet pas de la disparition de son fils survenue dix ans plus tôt. Parallèlement, un jeune marginal se meurtrit volontairement, efface les traces de son ancienne existence, puis contacte Omer, le policier qui fut chargé de l’enquête, en se faisant passer pour le fils de Catherine. Pour un fils est tiré d’un fait divers célèbre : l’affaire Bourdin, du nom de ce jeune homme que la presse surnomma « le Caméléon » et qui pendant plus de dix ans s’était inventé une multitude de fausses identités (500 selon ses propres dires), allant jusqu’à usurper celle d’un enfant disparu.
On comprend ce qui a pu motiver la scénariste-réalisatrice : ce manipulateur virtuose aux motivations opaques, qui construit sa vie sur le mensonge et les faux-semblants dans le seul but de combler, prétend-il, sa soif d’amour et d’attentions, constitue un fascinant sujet romanesque. Il est d’autant plus dommage qu’Alix de Maistre gâche ce potentiel par des choix scénaristiques discutables. Certains de ces choix peuvent se justifier par le resserrement du film sur le mystère de cet adolescent et de ses intentions. Mais en évacuant le suspense (le spectateur n’est jamais dupe de la mystification), de Maistre se prive d’un puissant ressort dramatique. De même, en refusant de s’attarder sur les sévices qu’il aurait subis pendant ses dix années d’absence, le personnage semble suivre la logique d’une victime traumatisée, mais il paraît tout de même étonnant que personne – pas même le policier censé se soucier avant tout de sa protection ! – ne l’interroge sur son ravisseur, ou ne songe à le confier à un psychologue…
Il y a plus gênant. Dans la véritable histoire, Bourdin n’avait pas été recueilli par la famille du petit disparu malgré ses demandes répétées. Il s’était donc contenté de manipuler les gendarmes, jusqu’à être confondu par un test ADN. Alix de Maistre a choisi d’imaginer ce qui se serait passé si l’imposture n’avait été dévoilée qu’après la « réintégration » du foyer familial. L’hypothèse est bien sûr plus riche, dramatiquement et psychologiquement, mais elle ne se réalise qu’au prix d’une pirouette scénaristique bien peu crédible : Omer décide, sur la foi de sa seule conviction, de court-circuiter la procédure et sa hiérarchie pour renvoyer le garçon chez ses parents présumés. Alix de Maistre cherche à expliquer (et excuser) l’incroyable bêtise de cette initiative en développant le personnage de ce policier contaminé par la détresse de la mère et rongé par la culpabilité de n’avoir pas su retrouver l’enfant à l’époque de sa disparition. En vain : les scènes qui le montrent chez lui, s’occupant de son frère handicapé, sont hors sujet et alourdissent le film. Même le grand Olivier Gourmet peine à donner de l’épaisseur à ce personnage trop théorique.
Ce choix est révélateur de la principale faiblesse d’une œuvre qui oscille sans jamais choisir entre le non-dit et l’explicite. La mise en scène se tient à la surface des êtres et des visages, y guettant les stigmates de la souffrance et de l’espoir, captant les doutes, enregistrant les légers tremblements qui trahissent les âmes tourmentées. Mais la musique emphatique, toute de cordes et de cuivres, surligne les moments dramatiques, tandis que certaines scènes et dialogues sont étonnamment peu subtils : ainsi, l’imposteur s’introduisant subrepticement dans une chambre transformée en mausolée en souvenir de l’enfant perdu pour y cacher une bague lance-t-il tout haut : « Si je rate, elle restera dans son musée, si je réussis tout sera à moi. » Cette lourdeur est ici d’autant plus choquante qu’elle n’apporte rien à la compréhension du film – au contraire, elle parasite l’impact d’autres scènes bien plus intéressantes où rien n’est dit sur les motivations du personnage. De même, la véritable identité de l’imposteur sera fortuitement dévoilée par une enquête policière (menée, coïncidence heureuse, par un coéquipier et ami d’Omer) sans que cette découverte n’apporte rien à l’intrigue.
Il y a là un manque de confiance envers le spectateur et dans la puissance d’évocation du cinéma que l’on pourra mettre sur le compte de l’inexpérience d’une réalisatrice dont c’est le premier long métrage. C’est d’autant plus dommage que son film n’est pas sans qualités. Les passages, heureusement majoritaires, où le non-dit domine sont parfois très beaux, très troublants : la mère découvrant le corps nu de son fils présumé, bien plus mûr que celui d’un adolescent de 15 ans ; le repas de famille où la gêne et l’incompréhension des parents est presque palpable. Le personnage du père, servi par l’interprétation de Josse De Pauw, est magnifique. Et si le jeu du débutant Kevin Lelannier manque parfois de finesse, il est suffisamment charismatique pour faire ressentir à la fois l’inquiétante douceur du jeune homme, son terrifiant besoin d’être accepté et aimé (la scène perturbante où, son visage collé à celui du petit frère pétrifié, il grimace un sourire), et la farouche détermination qui l’anime, qui constitue le véritable moteur du film, et qui ne se fissurera que le temps d’une scène aussi courte qu’émouvante. Mais l’excès de pudeur et de retenue dont fait preuve Alix de Maistre étouffe autant l’émotion qu’il désamorce le thriller : son œuvre, en restant à la surface des êtres et des événements, peine à explorer les abîmes qu’elle a su laisser entrevoir.