Un film franco-brésilien distribué hors festival et coproduit par Jamel Debbouze ? Quel étrange objet a priori… Puisque nous sommes nés conserve l’intérêt de ses sujets portés sur les écrans d’un Hexagone où le problème des favelas n’est que peu connu, si la mise en scène de cette horreur sociale reste assez linéaire et répétitive.
Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, mariés à la ville, sont partis au Brésil observer, « guetter » comme ils disent, la terre sèche et aride de Nordeste : bien que leur style, du grain d’image passé à la caméra tremblante, se rapproche du reportage, les deux réalisateurs ont fait leur enquête en apprentis sociologues. La limite entre fiction et documentaire est toujours très ténue, et la question de la présence/absence d’un narrateur au cœur du trouble. Mais Duret et Santana ont avant tout eu pour vocation de poser un regard particulier sur ce pays, sur ses fossés économiques, sur le parcours du combattant de deux enfants qui n’ont que leur courage pour espoir, leur volonté pour force. Nego et Cocada, deux enfants, font la manche dans la station-service du coin : espace où se confrontent deux sociétés différentes ‑celles des touristes brésiliens qui connaissent la couleur d’un billet, et celles de marchands, mendiants‑, il est aussi, pour Nego et Cocada, celui du possible et maigre salaire. Quand les aides sociales n’existent pas, il faut le « prendre » à la source… il ne s’agit pas de dépeindre une classe aisée insensible aux malheurs du prolétariat, mais le fossé entre ses deux classes dans un pays où la classe moyenne a encore bien du mal à pointer le bout de son nez.
La misère n’est pas appréhendée seule : Nego et Cocada mendient, se battent pour un bidon d’eau avec les autres habitants de la favela, mais, plus que tout, mais, plus que tout, ont perdu la notion du temps. Le rythme lancinant rend ainsi honorablement l’idée du décalage en tous points : à quatorze et treize ans, le rêve de partir, de changer d’air, mêlé aux obligations financières, a fait des deux protagonistes un couple d’adultes malgré eux, incapables de penser rationnellement la situation, et incapables de se projeter dans une vie d’enfants. Le bât blesse pourtant sur la durée : le portrait des deux enfants est réussi, mis en scène dans un décor de western, de plaine qui n’a pour fin que la route nationale qui conduit les cars touristiques, et laissent planer, un instant, le rêve d’être emmené au loin. Mais hors de la mise en espace, et des deux personnages centraux, les thèmes s’éparpillent au fil des minutes : qui trop embrasse mal étreint, et, si l’on peut comprendre les éclairs comme des détails de décor, on a malheureusement l’impression, de temps à autres, que le film a compressé les problèmes du pays pour les personnifier en Nego et Cocada. Le trafic d’organes, le manque d’eau, l’omniprésence inutile d’un pouvoir politique ‑il est cependant intéressant de voir Lula et son gouvernement dans cette représentation pour un Européen-… les thèmes font florès, un peu trop. Manque-t-il de la distance aux sujets ? Plutôt une maturité cinématographique, qui empêche parfois de se concentrer sur les personnages et leurs aléas au milieu des multiples thèmes, et de comprendre avec acuité les enjeux de chacun d’entre eux.