Distribué en France quelques jours avant la journée de lutte contre les violences faites aux femmes et en pleine semaine de la solidarité internationale, Red Heart s’affiche comme un témoignage engagé sur la condition de la femme kurde, en montrant la déchéance implacable d’une jeune femme perdue entre tradition et émancipation. Le jeune Halkawt Mustafa développe un regard adroit sur l’archaïsme et les incohérences de la société irakienne, mais ne parvient pas à donner une singularité réelle au parcours sans surprise de son héroïne.
Kurde expatrié en Norvège depuis 2000, Halkawt Mustafa réalise ici son premier long-métrage grâce à une co-production irako-norvégienne. L’originalité du projet intrigue et force l’admiration. Tourné au Kurdistan avec des équipes irakienne, iranienne et norvégienne, ce film apparaît comme une gageure d’un point de vue aussi bien culturel, linguistique, économique que politique. Des réécritures multiples de son scénario (pour atténuer les craintes de son actrice) au tournage compliqué en Irak, Halkawt Mustafa a dû s’adapter aux particularités du terrain tout comme aux contraintes culturelles… qu’il entend dénoncer. Bien qu’il s’agisse de la première production tournée en Irak depuis la chute de Saddam Hussein, le regard porté sur le film ne saurait dépendre de ce seul fait, même s’il est difficile d’en faire totalement abstraction, le contexte de production du film influant grandement sur la liberté de la réalisation. Avec ses maladresses et ses incertitudes, Red Heart est bien un film de défi : celui de son héroïne est le reflet de celui de son réalisateur.
Dans un village montagneux du Kurdistan, Shirin et Soran s’aiment en secret. À la mort de sa mère, Shirin se voit contrainte d’épouser un homme souffrant d’un retard mental, condition imposée par la mère de celui-ci pour épouser le père de Shirin. La jeune femme refuse cet arrangement, tout autant que Soran, qui met à jour leur relation amoureuse. Les deux amants n’ont plus d’autre solution que de fuir pour sauver leur amour dans l’anonymat de la grande ville. Mais Soran est arrêté et Shirin doit survivre seule, sans aucune ressource. Naïve mais déterminée, elle suscite rapidement l’intérêt d’hommes, dont elle subit le désir autoritaire. Sans protection paternelle ou conjugale, Shirin traverse toutes les épreuves possibles. Dépossédée de toute forme de liberté, la jeune femme s’efface alors dans le décor citadin, dans une errance qu’on imagine permanente.
Des grands espaces montagneux, terre de liberté pour les amoureux sur la moto, au confinement de l’appartement familial qui scelle le destin du couple, Shirin et Soran sont tout le temps contraints par l’espace. Leur liberté est mise à mal par les décors qui les enferment, les rejettent ou les mettent en danger. À l’hôtel, les amants ne peuvent obtenir une chambre, faute d’être mariés ; dans le jardin public ils ne trouvent le repos malgré la protection de la végétation ; endormie au pied d’un monument, Shirin est observée comme une bête curieuse. La caméra de Halkawt Mustafa isole la jeune femme aussi souvent que possible et met en valeur la force de ses traits effrontés. Peu à peu, le film fait de Shirin un être fantomatique sous un voile aux allures de linceul : la jeune fille révoltée se transforme en femme mutique, pliée sous le poids d’épreuves inhumaines. L’enchaînement de certaines scènes (prison / grossesse / mendicité) donne le tournis et met à mal la sympathie du spectateur pour un personnage transformé en étendard du malheur.
Du haut de ses vingt-six ans, Halkawt Mustafa signe un film passionné, mais Red Heart n’évite pas un aspect cliché en voulant condenser tous les malheurs possibles en une heure vingt.