Parrainé par la compagnie anglaise Eurostar, Somers Town devait prendre la forme d’un court métrage publicitaire avant que son réalisateur décide d’enrichir sa fable de quelques mètres de pellicule. Film anglais composé dans un noir et blanc flottant, Somers Town dessine la vacance de deux ados livrés à eux-mêmes au cœur d’un Londres vidé de sa substance. Balancé entre chronique sociale à la Loach et dérive poétique digne des 400 Coups, le film gagne en minimalisme soigné ce qu’il perd en accroche dramatique. En ajoutant bien qu’un léger flottement de cinéma procure une ivresse que la soi-disant profondeur dramatique ne retient pas.
Blondinet anglais nageant dans un survêtement immaculé, le jeune Tommo, 16 ans, tente un nouveau départ dans ce train qui lui fait quitter sa région des Midlands pour la mégalopole londonienne. Fuyant un foyer d’accueil qui ne semble par lui avoir sourit, Tommo déambule près de la gare de Saint-Pancras sur les pavés du quartier en reconstruction de « Somers Town ». Dépouillé et défait de ses affaires par des lads désœuvrés, il va alors faire la rencontre de Marek (Piotr Jangello), jeune et timide immigré polonais qui vit avec son père, Marius, loin de son pays natal. Sans que le père ouvrier ne soit prévenu, Tommo va trouver refuge dans la chambre de Marek et errer en sa compagnie dans un univers où l’abandon rime avec terrain de jeux.
Passé l’appréhension distante de Malek envers le débordant et sur-actif Tommo, les deux adolescents échapperont à l’ennui par des rites tels vols à la sauvette dans un pressing et d’inaugurales défonces alcoolisées. Essayant de revendre des robes et costards que Tommo a bien essayé de porter dans une séquence plutôt amusante, les deux garçons trouvent auprès du voisin Graham (le remarquable Terry Benson) un job qui leur fera gagner un petit pécule et les occupera pour un court moment.
Malgré le peu de pistes narratives mise en avant (le père de Marek absent et porté sur l’alcool), c’est bien la déambulation‘dans les parcs et entre les fameuses maisons en briques de ces enfants exilés qui va rendre la ballade agréable à suivre. Ainsi, la rencontre avec la jeune française expatriée va offrir un passage des plus cocasses et savoureux. En émoi total devant le charme de cette serveuse « frenchie », nos deux fantaisistes vont imaginer la ramener chez elle assisse sur un fauteuil roulant. D’humeur flottante et naïve, la série de plans que traverse le mobile déstabilise alors la grisaille anglaise et par un baiser volé conclusif ouvre une brèche secrète dans le cœur de ces gosses éloignés de leurs régions maternelles.
Ainsi, en une heure et quelques minutes, Shane Meadows parvient à offrir une échappée qui, à défaut de consistance, laisse entrevoir une amitié incongrue sous les lumières d’une vague et précaire poésie. La candeur du personnage de Tommo qu’interprète ici Thomas Turgoose séduit par l’humour lunaire qui s’en échappe. Ce jeune comédien sur lequel reposait déjà le précédent et très musical This Is England imprime à son personnage la marque de celui qui, forte tête, passe sous silence sa vie passée et combat l’abandon présent par une vivacité rugueuse. Face à l’acteur, la démarche plastique de Shane Meadows est conduite si habilement qu’elle finit par coller à cet égarement adolescent qui, défiant naturellement les tracés longilignes, semble toujours suspendu à un horizon nouveau.
Dommage alors que succède aux textures atmosphériques et à l’étirement temporel que propose Somers Town, ce final tourné en Super‑8 qui voit les deux ados prendre l’Eurostar et retrouver la jeune Française sur les places les plus touristiques de Paris. Filmage bougé aux allures de home-movie, la réalisation se perd ici en une succession de clichés que la riche topographie de notre capitale ne mérite pas forcément. En visite carte postale sur fond d’une composition musicale qui marchait bien jusque-là, les deux garçons posent avec la belle Française devant les monuments usités et les lieux les plus communs de Paris. Qui, comme le rappelle justement un des adolescents au milieu du film, n’est qu’à deux heures de Londres et ne devrait plus constituer pour un Anglais une espèce de fantasme exotique ouverte sur les plus lamentables clichés publicitaires. Voilà pourquoi on préfère quand Shane Meadows travaille sur le mode mineur à composer les plans d’un univers qu’il connaît (ou a bien découvert) et dirige sans bavardage inutile un parcours qui invite à une rêverie dont le mérite principal est de garder les pieds sur terre.