Réunissez sept professionnels du film d’horreur et proposez-leur de réaliser chacun un film de dix à vingt minutes inspiré du Grand-Guignol, avec un même budget et un même temps de tournage. Ça donne The Theatre Bizarre, film foutraque et inégal, où chaque segment explore une manière différente de montrer l’excès des passions humaines.
The Theatre Bizarre ravive la tradition de l’anthologie horrifique : un travail sur une succession d’histoires courtes et indépendantes, réunies en un seul film, concept pratiqué avec délices par les grands maîtres du genre comme George Romero (Creepshow et ses suites, à partir de 1982) ou Mario Bava (Les Trois Visages de la peur, 1963). Mais ici, chaque chapitre est pris en charge par un réalisateur différent afin de réunir sur un même projet des professionnels du cinéma d’horreur. Certains sont des réalisateurs chevronnés, d’autres sont des techniciens géniaux s’essayant de temps à autre à la réalisation. L’idée n’est pas non plus sans rappeler le principe de la série Masters of Horror (Showtime, 2005 – 2007), où chaque épisode était un film d’une heure par un réalisateur différent (Romero, Argento, Carpenter, Hooper, Landis…). Mais le concept cherchait à réunir des maîtres du genre, en leur offrant un budget, certes calibré pour la télévision, mais néanmoins conséquent. Avec The Theatre Bizarre, la démarche relève d’une économie modeste et les réalisateurs s’inscrivent clairement dans une démarche engagée. Il s’agit de défendre un genre cinématographique souvent relégué aux sorties de niche et aux éditions DVD et de mettre en valeur la diversité de ses modes de production, au-delà des grands noms qui en ont fait les beaux jours. Les réalisateurs de ce film collectif crient leur amour du gore et de la série B, des giclées sanglantes et des chairs moulinées, des ambiances torrides et des forêts brumeuses, du mauvais goût assumé et du déchaînement littéral des passions. C’est en assumant une dimension kitsch et en travaillant sur une économie de moyens caractéristique que The Theatre Bizarre entend déployer les richesses photographiques et narratives du genre. L’idée d’un espace de liberté collectif et d’un travail solidaire est évidemment magnifique sur le papier. Mais le résultat, vendu comme une version cinématographique et contemporaine du théâtre de Grand Guignol, est loin de correspondre à ce mince cahier des charges.
Dans certains cas, l’interprétation de cette thématique est littérale et efficace, comme avec Wet Dreams, segment réalisé par Tom Savini. Grand spécialiste des effets spéciaux, ce collaborateur de Romero et Rodriguez s’en donne à cœur joie avec ce huis clos conjugal où la trahison donne lieu aux pires tortures. Ça coupe, ça tranche, ça transperce, ça démembre (jusqu’aux parties les plus sensibles de l’anatomie masculine). L’excès macabre de la scène grand-guignolesque, où l’horreur et le sexe vont de pair, est condensé ici dans la digne lignée des Contes de la crypte. Il en est de même pour l’ésotérique Mother of Toads, réalisé par Richard Stanley. Karim Hussain, chef opérateur canadien spécialisé dans le film d’horreur et déjà réalisateur de trois longs-métrages, propose une vision plus apaisée du Grand Guignol, mais offre aussi la proposition la plus forte de cet ensemble avec Vision Stains, dont la violence calibrée sert une étrange fable sociale. Une tueuse en série choisit pour victimes des femmes sans abri, dont elle perce un œil à l’aide d’une seringue pour s’injecter le liquide dans son propre globe oculaire et découvrir ainsi tous les souvenirs de ses victimes qu’elle couche sur le papier. À l’écran, la pénétration de l’œil est mise en scène sans ellipse à plusieurs reprises, jusqu’à l’automutilation de la tueuse, assumant le rituel castrateur de l’œil crevé, phobie ancestrale et acte d’horreur par excellence. Avec son ton intimiste, Vision Stains n’en est pas moins déstabilisant que les autres. Si The Accident de Douglas Buck, doux passage sur le rapport d’un enfant à la mort, paraît presque hors sujet, Sweets revisite La Grande Bouffe dans un segment désordonné dont le scénario semble absent. Ce joyeux mélange est encadré par les scènes de Theatre Guignol, réalisé par Jeremy Kasten, spécialiste de spectacle de magie underground. Sur une scène de théâtre, un bonimenteur, plus loufoque qu’effrayant, présente les segments successifs sous la forme d’adages ou d’énigmes poétiques, pour donner un semblant de cohérence à un ensemble hétéroclite.
Prônant une liberté de création maximale, The Theatre Bizarre regorge de belles intentions en tant que dispositif de production. Mais le résultat s’essouffle dans l’éclectisme assumé de sa réalisation chorale et dans la démonstration appuyée de sa pauvreté de moyens. Le film reste un appel sympathique à la (re)découverte de réalisateurs tous plus barrés les uns que les autres et d’un cinéma d’horreur prolifique et polymorphe, dont nous ne voyons souvent sur les écrans français que la frange la plus formatée.