Dans ce film construit comme un puzzle, on suit la journée, sans doute pas leur meilleure, d’une famille ; un fils, une mère, un père. Tombant malheureusement dans l’exercice de style un peu « bon élève », la mise en scène parvient toutefois à créer une atmosphère assez prenante pour attirer l’attention sur cette évocation d’existences en état de flottement.
Jacob Berger ne met pas beaucoup de temps pour installer le ton d’1 journée. Le film se déroulera dans un environnement maussade ; une architecture collective impersonnelle où vit une population plutôt aisée. On découvre ce décor riant au petit matin, sous une pluie battante et dans une nuit encore d’un noir à couper au couteau. Si l’on excepte des affiches sur lesquelles on découvre des visages, bouche et yeux fermés, les oreilles bouchées, ces premiers plans sont dépeuplés de toute présence humaine. Bienvenue en Suisse, précisément dans la banlieue de Genève, pays de la norme et du « tout va bien », à condition de jouer aux trois singes : ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre. Difficile de ne pas évoquer le dernier film de Nuri Bilge Ceylan, d’autant plus que l’on retrouve ici un couple adultère et un fils, la difficulté de communiquer et formuler l’évidence de dysfonctionnements. Mais on note surtout, cela ressemble à une fatalité pour le cinéma d’auteur suisse, l’ombre portée d’Alain Tanner et de La Salamandre. Avec ici ces grands ensembles, où vit Rosemonde dans ce dernier, ou plus encore cette scène de bus mettant en valeur une xénophobie aussi sourde que profondément enracinée.
On découvre les trois protagonistes d’une manière froide, en plongée verticale, annonçant l’étude de comportement à venir : Serge (Bruno Todeschini), journaliste matinal à la radio, boit son café alors que Pietra (Natacha Régnier) et son fils Vlad (Louis Dussol) sont encore profondément endormis. Ces trois entités n’occuperont jamais ensemble un même plan, le film est basé sur le tracé du sillon de chaque être. C’est ainsi que la narration, à la manière d’un disque rayé, va repartir à deux autres reprises de ce matin, pour épouser à chaque fois le point de vue, l’un après l’autre, d’un protagoniste (dans l’ordre : le père, la mère, le fils). Le dispositif de récit s’assouplit ensuite, mais reste fidèle à ce procédé qui offre la possibilité de faire se frôler et rencontrer les trajectoires de chacun, dans l’espace mais aussi par les situations. Basé donc sur le sillon quotidien des êtres, celui de ce jour-là prend une tournure particulière. Pour chacun des trois, il dévie de ce qu’il devrait être. Le premier croit avoir renversé quelqu’un en voiture et est quitté par sa maîtresse. Le musée où travaille la seconde est fermé, son retour prématuré la place en présence de l’adultère au domicile conjugal. Le jeune garçon vit son premier émoi amoureux, se soldant par une éconduite douloureuse, et se rend compte que les adultes passent beaucoup de temps à (se) mentir. Il finira par être recueilli par la maîtresse (Noémie Kocher) de son père, qui n’est autre que la mère de sa dulcinée…
La mise en scène (signalons qu’1 journée a reçu le prix au festival des Films du Monde de Montréal en 2007) et l’interprétation des comédiens se mettent au service du questionnement de la frontière, ici particulièrement mince, entre réalité et imaginaire, mais aussi entre vérité et mensonge, répétition et variation, indifférence et émotion. Natacha Régnier, son état de présence au monde évanescent, est sans doute pas la plus adroite pour figurer cela, mais l’ensemble de la troupe est convaincant. Les cadrages précis et l’apesanteur glacée des mouvements d’appareils impriment souvent avec efficacité l’impression de rêve éveillé et donnent une dimension fantastique à cette chronique réaliste du quotidien. Mais cette application est comme marqué par un revers nommé intentionnalité. Un exemple : les personnages sont séparés par des baies vitrées parce qu’ils sont désunis et en situation d’incommunicabilité. Il y a finalement et souvent peu à voir dans l’image, s’organise parfois une réitération entre représentation et discours sous-jacent. Alors que le sujet se prêtait pourtant formidablement bien à la déambulation et à l’errance du regard. Et que dire d’un dernier plan qui, semblant avoir été dicté par la structure narrative éclatée, tombe à plat et que l’on avait vu arriver comme le nez au milieu de la figure.