Qu’est-ce que l’absence et comment lui donner corps à l’écran ? C’est à cela que tente de répondre 10.000 km, qui filme la distance s’immiscer au sein d’un couple séparé par l’océan. Encadré par deux scènes qui seules matérialisent l’amour de Sergi et Alex (elles mettent en scène la présence des personnages l’un à l’autre), ce premier film espagnol enregistre de la relation tous les échanges – Skype, textos, e‑mails, appels téléphoniques, photos partagées, ou épiées sur Facebook – qui consacrent via la technologie le rapprochement du couple séparé pour un an. Filmant la lente déliquescence de l’amour réduit à un impératif de contact basé entièrement sur les télécommunications plutôt que sur la substance de l’amour même – proximité physique et gestes quotidiens partagés – 10.000 km s’interroge tout autant sur l’emprise de ces moyens de communication sur nos vies que sur cet amour dématérialisé.
Loin du corps, loin du cœur
Le matin même où le couple pensait faire son premier enfant, Alex reçoit un e‑mail l’invitant à Los Angeles pour une résidence artistique d’un an. La jeune femme y voit sa dernière chance de vivre d’une passion qu’elle menait jusqu’alors en dilettante. Désormais séparés par l’océan et les dix mille kilomètres du titre, Sergi et Alex vivent leur couple à distance et grâce aux télécommunications. Carlos Marqués-Marcet va toutefois au-delà de cette stricte anecdote amoureuse : il confronte, à cet amour débordé par la séparation, une réflexion sur l’incapacité de la technologie à se substituer à la présence physique – de la visite de lieux via Google Maps au sexe par webcam – à régénérer l’amour, à remplacer l’absence. C’est une réussite, le film consacrant après avoir montré la ruine de l’amour, les retrouvailles inattendues du couple, et l’impossibilité de raviver une étincelle épuisée par l’absence des corps dans une nouvelle scène de sexe, miroir de la promesse de la scène d’ouverture.
J’avais tout imaginé à l’envers
On n’est pas surpris de voir au générique les logos de partenaires du film : Google, Yahoo, Apple, Facebook et YouTube. Habile façon sans doute de détourner la petitesse des moyens de production en utilisant ces marques montrées et remontrées dans le film, bien que critiquées au passage. Le sujet est en effet une porte ouverte au placement de produit – à tel point qu’on se demande si l’histoire du film, entièrement tourné en Espagne (car la distance ici est plus manifestée par l’éloignement et la relation qui se gèle que par des cadres de vie distinct ; et à aucun moment l’équipe de production n’a quitté les deux appartements où les deux uniques acteurs croient s’ouvrir l’un à l’autre par l’intermédiaire de leur fenêtre de navigation) ; on se demande si cette histoire, donc, n’est pas plus un corollaire des moyens de production qu’un véritable choix artistique. Le retournement de cette participation des sponsors est cela dit assez sensée – Alex, pour son projet photo, est inspirée par la Californie où pullulent antennes et caméras camouflées. Elle se lance dans un travail pseudo-critique sur cette omniprésence des antennes, des banques de données.
Ici la réflexion s’appauvrit malheureusement, ou en tout cas ne va pas au bout de ses prétentions, offrant cette matière visuelle au regard sans jamais la dépasser – par exemple un intéressant split screen entre une visite via Google Maps et le même chemin filmé sur pellicule, ou une conversation Skype entre les deux protagonistes, pendant qu’Alex scanne ses photos d’antennes. Ces parallèles sont cela dit un peu lourds, et ils tombent à plat – c’est dommage. Ces deux mondes – le physique contre la technologie, et inversement – sont mis en regard sans que jamais la réflexion soit avancée. Le point de départ est peut-être précisément dans cette première perte, originelle, comme l’oubli de cet embryon d’enfant que les personnages croyaient avoir conçu, au moins en paroles, dans la première scène, et dont on ne parle presque plus une fois la distance consacrée. Il ne ressort plus que la vacuité de tous ces substituts technologiques, mais 10.000 km n’est qu’un constat un peu triste et vain, trop peu critique, de cette pauvreté dans laquelle on se noie.