Le cinéma se doit de devenir le point focal de la production artistique, semble t‑il. En tant que plus facile d’accès que tout autre média, il puise aujourd’hui plus que jamais ses inspirations à la fois dans la littérature – dessinée, comme c’est le cas ici – ou non, dans l’histoire, ou dans l’actualité. Malheureusement, cette inspiration lui vient de moins en moins de sujets uniquement pensés pour le cinéma – qui nécessitent le cinéma. Preuve en est ce 20th Century Boys, adapté d’un remarquable – et très populaire – manga, qui se pose en mètre-étalon de l’adaptation cinématographique servile et sans éclat.
20th Century Boys, c’est tout d’abord un énorme succès du manga au Japon, qui raconte 24 volumes durant l’histoire infiniment complexe d’une bande d’amis nés dans les années 60, confrontés à leur arrivée à l’âge adulte à la naissance d’une secte manifestement contrôlée par l’un d’eux. Pratiquant, comme souvent dans le manga, à merveille l’art du cliffhanger, du suspens en fin d’épisode destiné à accrocher le lecteur, l’auteur de 20th Century Boys, Naoki Urasawa, a également pris l’option très risquée de raconter les deux lignes temporelles de son récit en simultané. Il y réussit très bien, mais la question se pose, alors qu’il nous faut considérer l’adaptation cinématographique : comment rendre la première époque (approximativement 6 volumes sur 24) de ce récit infiniment circonvolutif, cette structure parfaitement adaptée au découpage en épisode, dans un film d’un peu plus de deux heures ?
Manifestement, le réalisateur Yukihiko Tsutsumi ne se pose pas la question : pourtant porté par une réécriture plutôt efficace du scénario (les premières minutes du film laissent réellement à espérer), il ne se départira jamais de ses réflexes de réalisateur de télé et de clips. 20th Century Boys, ainsi, au bout de quelques minutes, va aligner les scènes jouées avec une conviction toute relative par des acteurs manifestement choisis pour leur ressemblance avec les personnages du manga (seul Toshiaki Karasawa, l’interprète du personnage principal Kenji, y échappe). Le réalisateur, quant à lui, va se contenter de son esthétique télévisuelle atone – sauf lors d’une unique séquence mettant en scène un concert de rock, où sa frénésie de réalisateur de clip semble le reprendre…
À y réfléchir quelques minutes, on se dit que la seule raison qui peut conduire à mobiliser une équipe de cinéma pour adapter sur le grand écran une œuvre littéraire sans jamais vouloir y apposer sa patte personnelle, la moindre personnalité artistique, revient avant tout à désirer se voir ouvrir le portefeuille des fans. Nul n’y échappe : de la série des Harry Potter – à l’exception du mal-aimé épisode réalisé par Alfonso Cuarón – à Hell, en passant par Le Diable s’habille en Prada ou le récent Twilight – Chapitre 1, pour ne citer qu’eux, les producteurs n’ont manifestement de cesse de vouloir surfer sur la popularité des tops du box-office des librairies, au plus vite. Et cela, le plus souvent, au prix de la liberté artistique des réalisateurs qu’ils emploient, et de toute prétention artistique.
Ce mot de prétention, avant de devenir attaché à l’idée d’une suffisance hautaine, est surtout l’expression d’une volonté de la part d’un individu. Or, ces productions à la chaîne sont souvent vues comme pliant sous le joug des fans (la saga du Seigneur des anneaux, largement réécrite par Jackson – pour le meilleur ou pour le pire – a ainsi subi l’ire des nombreux admirateurs de Tolkien) – mais il convient de rappeler les desiderata le plus souvent bassement mercantiles des producteurs, désireux avant tout de procurer un clone visuel à une œuvre à succès. Et la volonté des réalisateurs, photographes, acteurs, artistes en somme, derrière tout ça ? Et le cinéma, que diable ? 20th Century Boys est ainsi un divertissement honnête, sonnant parfois très faux, réussissant parfois à retrouver le vertige intellectuel qui habite le manga – mais qui comme nombre d’adaptations, souffre de n’avoir eu pour commanditaires que les marchands du temple-cinéma.