Faussement annoncé comme une suite à 40 ans, toujours puceau, le dernier Judd Apatow est en réalité une sorte de spin-off, qui reprend deux personnages secondaires pour en faire le couple protagoniste du film. Sur fond de crise de la quarantaine, de questionnements sur la longévité du couple et sur la filiation, Apatow explore la comédie à tendance (gentiment) subversive sur la famille au détriment de l’inventivité puérile et régressive de ses premières réalisations.
Pete (Paul Rudd) et Debbie (Leslie Mann) ont peu ou prou les mêmes soucis qu’un couple marié suffisamment longtemps pour faire face à l’usure du temps : difficultés à stimuler leur libido, peur de vieillir, de voir leurs enfants grandir trop vite et leur échapper. Si l’on ajoute à cela quelques problèmes financiers et un beau-père envahissant, le tableau est complet. Rien de très neuf à l’horizon, d’autant que tous ces thèmes seront explorés avec le brin de fantaisie, de cruauté et de crudité adéquats, suffisants pour conférer au film un rythme de croisière plaisant, et maintenir l’illusion d’un récit se targuant d’aborder avec efficacité les troubles dysfonctionnels du couple moderne. Mais c’est justement dans cette volonté de « faire efficace », d’établir une sorte de bilan qui regrouperait toutes les tares autour d’une union qui se fane doucement, que 40 ans, mode d’emploi se transforme tranquillement en bande démo pour la promotion de la vie à deux, avec ses petits tracas et ses joies éphémères mais qui, assurément, valent tous la peine d’être vécus. Un emballage rétrograde déjà vu cent fois, qu’il conviendra d’envelopper dans une couche de pseudo-modernité, afin d’éviter la redite, avec par exemple le père de Pete, récent géniteur de triplés par insémination artificielle.
Mais le recours à des « séquences-clips », censées représenter en condensé l’avancée du récit au son d’une musique entraînante, constitue le principal défaut de fabrication de ce type de comédies, car elles échouent à rendre compte de la complexité des situations et sonnent, il faut bien le dire, comme un aveu d’échec, si ce n’est de paresse. Le projet du film – en gros, dresser le tableau de la vie de couple d’Américains comme les autres – paraît alors comme tronqué d’avance. Il en ira de même concernant la piste des ennuis financiers de la maison de disques fondée par Pete, opportunité de lancer nos personnages vers des rives moins coutumières de la comédie américaine, mais qui restera lettre morte, faute de pouvoir se matérialiser de manière concrète, apparaissant très vite comme un moyen artificiel de feindre le dénuement, la possible rétrogradation de classe, sans prendre en charge les tracas matériels que cela pourrait occasionner. Même si l’opulence démesurée de la maison où la famille habite, ainsi que l’utilisation récurrente d’une célèbre tablette numérique laisse à penser qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens, Apatow ne s’emploie pas à questionner leur mode de vie, si ce n’est pour délivrer, in fine, un message convenu que l’on pourrait résumer par : « la vie est faite de compromis ». Belle affaire, grande nouvelle, mais surtout symbole désespérant d’une recherche de vérités immuables qui semble préoccuper sans fin tout un versant de la comédie américaine.
On pourrait pardonner à 40 ans, mode d’emploi sa roublardise, si seulement il ne faisait pas l’étalage d’un mode de vie « petit bourgeois de banlieue » assez nombriliste et hypocrite, tout en tentant à tout prix de conserver un capital sympathie pour ses personnages, alors qu’il prétend mettre à jour leurs bassesses. Car Apatow, qui ne cache pas qu’il puise ici sa matière fictionnelle dans sa vie de famille – sa femme et ses deux filles jouent dans le film ! –, semble prêt à tout pardonner, à passer les pires vilenies par la case pertes et profits, sous le prétexte que la vie est ainsi faite, cautionnant un relativisme des plus désagréables, alors même qu’il fait preuve d’un mépris de classe évident. Il n’y a qu’à voir comment sont résolues les suspicions de vol à l’égard des deux employées de Debbie (qui choisira de croire celle dont elle se sent, physiquement et financièrement, la plus proche), ou le traitement réservé à une mère de famille prolo qui tente de défendre son fils devant le proviseur pour s’en convaincre. Nos héros s’en sortiront comme deux oies blanches. Sous les atours de la prétendue comédie inoffensive se cache une violence qui ne dit pas son nom et qui, parfois, atteint un niveau sidérant.