Dès les premières images, 9 mois ferme intrigue : le prologue du film, dans les coulisses du palais de justice, est l’occasion d’un plan-séquence fluide, aérien, vertigineux, qui semble pointer dans une direction inattendue. Albert Dupontel, le furieux réalisateur de Bernie et du Créateur, se préoccupe à présent de forme. Son dernier film est ainsi à la fois un festival visuel, l’image étant truffée de clin d’œil, de gags cachés toujours hilarants, et un drame doux-amer.
L’écran est le terrain de jeu de Dupontel qui, non content de s’en servir comme d’une image d’Épinal, utilise le cadre avec une pertinence et un dynamisme constants, habitant l’espace visuel avec une grande maîtrise. Ce dynamisme, pourtant, ne vise pas à noyer son auditoire, mais plutôt à guetter les opportunités ménagées par un scénario rocambolesque. Tout cela, en prenant le temps de ménager des respirations, de donner corps à son tandem de protagonistes.
Dupontel soigne ses effets comiques, investit son écran comme un terrain de jeu mais pas à la manière d’un chien fou, tel que ses précédents films pouvaient le laisser penser – plutôt comme un artiste burlesque assuré de sa mécanique comique, qui parvient à ménager à la fois son impressionnante liste de guest-stars, son rythme narratif et, surtout, son scénario. La brutalité des années Bernie n’est pourtant jamais bien loin, surtout lors de séquences rapides, incisives, dignes d’un cartoon – la provocation propre au style Dupontel aussi, mais elle ne se suffit plus à elle-même, car le réalisateur a aujourd’hui, véritablement, quelque chose à raconter, un récit dont la teneur n’est finalement pas si surprenante : le véritable propos de 9 mois ferme, c’est la fragilité de l’enfant.
Dupontel lui-même et Sandrine Kiberlain campent deux personnages certes outranciers mais dont les rodomontades et les cris ne sauraient cacher l’aspect humain, fragile et touchant. Avec l’air de ne pas y toucher, en jouant dans son registre habituel de l’anar vachard, Albert Dupontel nous parle de vies sorties des rails, de personnes écrasées à la fois par un système kafkaïen et par une société indifférente – ce n’est pas pour rien que l’une des affiches du film reprend le visuel du Brazil de Terry Gilliam. Cela étant, Dupontel ne partage pas le pessimisme grisâtre de l’ex-Monty Python – qui apparaît d’ailleurs dans 9 mois ferme ! –, et s’offre le luxe d’une conclusion tendre et ouverte, où l’on discerne que, pourquoi pas, tout n’est pas perdu.
Après sa composition touchante dans Le Grand Soir, Albert Dupontel poursuit dans un registre plus fragile qu’à l’accoutumée. Que son humour vachard s’accommode harmonieusement de cette fragilité n’est qu’apparemment paradoxal : on y verra plus volontiers l’affirmation d’une personnalité comique complète, au croisement de Gilliam et de Chaplin, et qui semble, pour la première fois, avoir su donner toute sa mesure.