Best-seller en 2000, le 99 francs de Frédéric Beigbeder avait fait hurler dans les chaumières et jaser dans les rédactions. L’auteur, dandy à la superficialité sympathique, sortait de ses vacances comateuses de publicitaire peu scrupuleux. Jan Kounen fait revivre son Octave Parango sous les traits d’un Jean Dujardin en pleine forme, mais qui ne masque pas le profond vide de la critique sociale du film.
Le générique d’ouverture est beau, les effets spéciaux travaillés, il y a visiblement de l’argent (beaucoup), du talent (un peu), et un message : notre vie est entièrement réglée par la publicité et le désir que cette dernière crée en nous de toutes pièces. Soit. Le paradis de la surconsommation est un îlot à décortiquer comme un autre. Mais dès l’entrée dans le drame, on tique sévèrement ; dès les premières images, on comprend que le style de Frédéric Beigbeder a été « reproduit » à l’écran : il est le même qu’en publicité, formules choc et images coup de poing soignées à l’appui. Octave Parango, roi de la pub, va se suicider du haut de l’immeuble, bras tendus comme le Christ des hauteurs de Rio De Janeiro, prêt à être sacrifié sur l’autel de l’argent, crucifié par la hargne capitaliste de conglomérats. Mais pourquoi donc ? On brûle de le savoir et on va nous l’expliquer à grands renforts d’effets visuels qui ne sont pas sans rappeler les premiers films de Jan Kounen, Dobermann et Blueberry.
Au premier rang de cette grande entreprise sotériologique se trouve donc le personnage d’Octave, à la grandiloquence vaine, à la modernité vulgaire, à la superficialité parfaitement intégrée aux longues séquences de publicité que l’on verra durant tout le film. Jean Dujardin est un bon acteur, ses comparses également (Jocelyn Quivrin en tête): il est drôle, a du bagout et un véritable sens des mimiques. Mais il n’est pas vraiment gâté par la caméra. Celle-ci ne s’attache jamais à créer une atmosphère, une marque esthétique autre que celle des clips télévisés pour serviettes hygiéniques. Ainsi n’existe-t-il pour le réalisateur ni arrière-plan ni hors-champ. Tout est montré, des flots de vomis aux rêves de chacun, des objets de bureau en gros plan aux jolies jambes de mannequins cocaïnées. Le cinéma n’est certes, pas seulement la suggestion. Mais on prend rapidement conscience que 99 francs filme tout pour éviter de se poser la question du sens, et de la subtilité.
Montrer n’est pas toujours démontrer. Des discours un peu pompeux, un peu foireux, des recompositions comiques de la Cène, et, évidemment, une apparition guest star, ne suffisent pas à dénoncer un fait social, à l’expliquer, à l’analyser, ce que ne faisait pas le roman et ce que fait encore moins le film. Lorsque des images de synthèse deviennent plus importantes que les mouvements de caméra, on s’interroge sur la volonté artistique du réalisateur : a‑t-il voulu interroger le monde contemporain ou a‑t-il voulu adapter un roman au succès cadré dans le temps pour faire un nouveau succès ? Il aurait pu, avec raison, faire les deux. Frédéric Beigbeder a le sens de la formule et du trash, Jan Kounen celui du trash numérisé. La pointe d’humour du dénouement ne change rien à l’affaire : 99 francs est truffé de tics générationnels, d’effets épuisants, de toc.
Beigbeder citait Proust dans son livre : « On peut faire d’aussi précieuses découvertes dans les Pensées de Pascal que dans une réclame pour un savon. » On ne sait pas d’où vient la phrase, mais on est sûr qu’il vaut mieux revoir Ma nuit chez Maud que de payer même moins de 99 francs pour voir ce que la télé vous offre gracieusement avant la météo.