Le bon coup de gâchette de cet hiver. Après avoir entraîné Vincent Lindon à multiplier les tentatives d’évasion et à encaisser les coups Pour elle, Fred Cavayé récidive dans le genre du film d’action. Reprenant l’histoire d’un homme ordinaire embarqué malgré lui dans une traque gangsta-policière, le réalisateur privilégie clairement l’efficacité de sa réalisation, en prenant appui avec brio sur des ficelles scénaristiques pourtant bien classiques.
Pour son deuxième long-métrage, Fred Cavayé semble rester fidèle aux mêmes préceptes cinématographiques, prenant un malin plaisir à plonger ses protagonistes à l’allure de « Messieurs tout le monde » dans une course effrénée pour sauver leur douce moitié. Gilles Lellouche ne déroge donc pas à la règle, et campe ici un futur infirmier contraint de faire sortir de son propre hôpital un dangereux malfrat nommé Sartet, afin de revoir sa femme vivante, kidnappée sous ses propres yeux.
Avouons-le, ce genre de trame scénaristique a de quoi offrir le meilleur comme le pire, tant le risque est que le souhait d’une performance à rebondissements dénigre la crédulité du spectateur. Seulement voilà, c’est justement lorsqu’il semble s’affranchir partiellement de tout souci de vraisemblance que le film déploie sa plus grande virtuosité formelle, et parvient à ménager des tensions saisissantes. Fort de son désir de réaliser un film haletant, se voulant être une suite de la dernière demi-heure de Pour elle, Fred Cavayé privilégie une action brute, intuitive, épousant parfaitement l’endurance instinctive de son personnage principal. À la différence de son prédécesseur Vincent Lindon, il succombe en effet à une action directe, au lieu d’intellectualiser un quelconque stratagème pour sauver sa femme.
Et cet élan animal a bien de quoi mordre. Propulsé abruptement dans l’action en même temps que le personnage de Gilles Lellouche, le spectateur n’a plus d’autres choix que de se soumettre, sans véritables repères, à la tension d’un engrenage ne faisant pas de différence de traitement entre ses tenants et ses aboutissants. Leur dévoilement progressif permet ainsi de distiller un suspens vif, accentué par une mise en scène limpide, fluide, qui épouse un découpage spatial net (l’action s’appréhende ici en termes de lieux, de l’appartement du couple jusqu’au commissariat), afin d’éclater les nœuds de tension en plans-séquences effrénés, à l’instar de la scène spectaculaire du métro, qui essoufflera certainement le plus grand nombre. Évitant le piège d’une réalisation abusivement nerveuse ou tape-à‑l’œil, Fred Cavayé semble au contraire mettre en valeur les moments paroxysmiques de son récit par une réalisation très soignée, loin de l’effet cardiaque auquel le cinéma français nous a pourtant habitué depuis quelques années pour ce genre de film.
Le réalisateur s’amuse donc avec les codes du genre, aimant déjouer nos propres attentes de spectateurs, tant il nous enferme délibérément (et courageusement) dans la galère de son protagoniste. Audace scénaristique, qui ne l’empêche pas de se livrer à quelques bonnes trouvailles visuelles, osant outrepasser le souci de crédibilité (qui demeure néanmoins quelque peu suspect lors d’une scène où le tableau de surveillance d’un commissariat se fait pirater en un clin d’œil) pour un abandon formel.
On pourra simplement regretter le fait que c’est dans sa recherche de vraisemblance que le film semble relâcher quelque peu les ficelles de son dynamisme. À force de vouloir inverser le rythme de son précédent film, Fred Cavayé précipite peut-être un peu trop rapidement les ressorts dramatiques ; la femme enceinte, le malfrat à l’intégrité sans faille et la policière aux valeurs justes et touchantes. Un accordéon de bons sentiments, qui étouffe la bestialité du film, dont la froideur de la photographie et l’excellente direction d’acteurs parviennent heureusement à maintenir dans une certaine efficacité.
Le trio Lanvin, Lellouche et Zem accumule en effet les points de côté avec une conviction étonnante, qui confère au film sa dimension presque tarantinesque ; chez Cavayé, oui ça court, mais surtout ça transpire, ça tue, ça crache, et ça ne fait pas semblant d’avoir mal à la gueule. Preuve qu’une bonne charge d’agressivité pourrait peut-être réveiller (enfin) le film d’action français.