Après Le Dernier Maître de l’air, M. Night Shyamalan se frotte de nouveau au cinéma à très gros budget avec After Earth, première incursion dans le genre de la science-fiction pour cet adepte du fantastique. Nous sommes pourtant ici plus proches que jamais de l’esprit intimiste de ses premières œuvres.
L’idée de départ pouvait faire redouter un larmoyant laïus écologiste : dans un futur lointain où les hommes ont déserté une Terre devenue inhospitalière, Cypher Raige, éminent militaire, revient au foyer après une longue absence. Il y retrouve un fils adolescent, visiblement en manque d’attention paternelle. Pour sa dernière mission avant la retraite, Cypher emmène donc le jeune Kitai avec lui, espérant ainsi resserrer des liens distendus. Manque de chance, le vaisseau qui les emmène rencontre en chemin une nuée d’astéroïdes et se voit contraint d’effectuer un atterrissage d’urgence sur une planète infréquentable pour l’être humain : la Terre.
Shyamalan ne fait donc pas de ces retrouvailles avec la planète mère le cœur de son récit. L’une des idées excitantes du scénario, voulant que les différentes espèces peuplant la Terre aient évolué dans le sens d’une plus grande hostilité à l’homme, n’est que peu explorée. En fait, plutôt que de l’utiliser comme une boîte à outils scénaristique, le cinéaste fait de cette Terre future la chambre d’écho d’une histoire de famille aussi intemporelle qu’universelle. Le schéma global du rapport père-fils qu’il dessine est assez rebattu : drame originel, sentiments de culpabilité, rancœurs inavouées, autoritarisme et volonté de s’affirmer… Cypher se voyant immobilisé par des blessures, la survie des deux mâles sur Terre reposera entièrement sur les épaules du jeune homme. L’odyssée que Kitai va devoir entreprendre pour sortir du pétrin constituera évidemment une façon de figurer l’évolution par paliers d’une relation vers un rapport remodelé et rééquilibré. Dès ses prémisses, le récit s’engage dans une voie prévisible et ne s’en détourne pas. Shyamalan parvient pourtant à nous donner envie de suivre ce chemin une fois de plus.
La représentation du futur que donne le cinéaste n’est pas étrangère à cette réussite. Le scénario exploite habilement ce qui est désormais un lieu commun du cinéma de science-fiction : l’extension et l’approfondissement de la surveillance généralisée. Au cours de son voyage, Kitai est ainsi doté d’une combinaison qui détecte toute présence malveillante aux alentours, mais permet surtout à son père de voir tout ce qu’il voit et de surveiller aussi bien son rythme cardiaque que le taux d’oxygénation de son sang. Cette technologie saura figurer, au début du récit, l’emprise autoritaire du père sur son fils, puis son relâchement : alors que son outil de communication se trouve brisé, Kitai continue de suivre les conseils que son père lui donne à distance, sans pourtant les entendre.
Ce qui joue surtout, cependant, est le fait que Shyamalan prenne au sérieux le personnage de l’adolescent et s’accorde le temps nécessaire pour le faire exister. Les nombreux flashbacks qui reviennent sur la disparition de sa sœur, loin d’être limités à une fonction informative, nous mettent dans le bain émotionnel dans lequel évolue Kitai. Le refus de noyer le personnage dans la bande image est constant et s’exprime autant par un rythme de montage modéré et par un suivi relativement réaliste de son parcours, jour après jour. Cette attention est permise par le choix d’éliminer tous les personnages secondaires dès le crash. Pas de digressions ni de ruptures de ton intempestives : les variations émotionnelles que le film nous fait vivre, de la peur au soulagement, de la rage au désespoir, collent de très près à celles de son personnage principal.
L’une des intentions qui animent Kitai est celle de parvenir à dominer sa peur, art dans lequel son père est passé maître et unique façon d’échapper à des monstres qui la détectent. Si le récit de Shyamalan fonctionne, c’est donc aussi parce qu’il a su donner à cette peur un corps : celui des Ursa, sortes de croisements entre Alien et un dinosaure, dont l’apparition dans le présent du récit est véritablement terrifiante. Jamais le cinéaste ne tempère la peur qu’il instille par l’humour. La seule incursion de celui-ci dans l’ensemble du film se trouve en son terme : dans un geste exemplaire du respect témoigné aux êtres qu’il imagine, Shyamalan ne permet pas au rire d’exister pour le spectateur avant que cela ne soit possible pour ses personnages également.