Un soir, soir pluvieux, une élégante quadra mariée, Julie, croise le chemin de Guillaume, un charmant trentenaire papillonneur. Sans surprise, ils s’entichent l’un de l’autre, et, le temps d’une nuit, décident de mettre en branle leurs petites velléités romanesques. Pour un programme similaire à celui de n’importe quelle bluette téléfilmesque : broder du motif amoureux comme on remplirait de la saucisse ; faire de la moindre rencontre, de la moindre hypothèse de romance, un petit séisme sentimental, chaque fois pur prétexte à l’épanchement nombriliste de ses personnages.
Pour ce genre de produit, la trajectoire est invariablement la même : d’un embryon de passion, esquisser la promesse d’une impossible escapade amoureuse ; puis finir par se compromettre dans un mauvais remake de Madame Bovary. Voyez, Julie (Julie Gayet), c’est un peu Emma Bovary, la petite bourgeoise désœuvrée pleine de désirs endormis. Guillaume (Raphaël Personnaz), c’est un peu Léon Dupuis, l’âme aventureuse toute en frustration mal contenue. Et sa moto, qui va les promener partout, c’est un peu la calèche de Rouen, celle qui fait vrombir l’asphalte de la grande ville pour étouffer qu’à l’intérieur deux amants font hurler leur passion. Et Géraldine Maillet, la réalisatrice ? Oui, ce serait un peu Flaubert, mais alors un Flaubert qui se serait contenté de fourrer tout son récit dans une seule séquence – celle de la calèche justement – et qui aurait décidé d’en balancer la « baisade », pour lui substituer un circuit amoureux ramassé sur une nuit, façon déambulation capitonnée et tourisme somnolent.
Film d’errance et de bavardage, After se contente, avec la naïveté des premières fois, de promener son couple dans un Paris désert et sans histoire, ainsi qu’une ville reconvertie – on en a l’habitude et ça commence à lasser – en cabinet de curiosités pour amoureux transi. Tranquillement vérolé par son imagerie publicitaire, le récit ressemble à un long spot sur l’amour en suspens, l’ivresse du « pourquoi pas », la mélancolie du « et si », mais surtout, et plus involontairement, sur la crise de la quarantaine, l’ennui de la femme bourgeoise. Égérie de la mode devenue apprentie réalisatrice, c’est comme si Géraldine Maillet, affranchie de cet univers depuis qu’elle s’était mise aux arts nobles, ne pouvait cependant s’empêcher d’en continuer la promotion, d’en reconduire les idées et la rhétorique. Gisant – avec d’autres – dans l’antichambre cinématographique du branding bobo-chic, After ne donne jamais envie de vivre, d’aimer, de rire, ou de pleurer, il donne simplement envie d’acheter du parfum ou une moto.
Publicité qui n’a rien à vendre et rien à gagner, After pousse son paradoxe jusqu’à se présenter en victime du système. Dans un livre qu’on n’a pas lu, mais dont on apprécie la modestie du titre (Il ferait quoi Tarantino à ma place ?), Géraldine Maillet revient sur les nombreuses difficultés rencontrées pour concrétiser son premier film. Et ce qui étonne, ce n’est pas tellement les refus à répétition et l’incroyable mépris de la profession essuyés par la réalisatrice (à dire vrai, l’inverse eût été plus inquiétant) ; ce qui étonne, c’est son édifiant manque de rage à l’arrivée. On dirait que le chemin de croix qu’a représenté sa genèse, au lieu de légitimement attiser sa colère, au lieu de considérablement remplumer son ego, l’a fait complètement se recroqueviller sur lui-même, comme un escargot dans sa coquille, de sorte que sa mise en scène rabote la moindre aspérité de son expérience du réel, reste emmitouflée dans les microscopiques tourments de ses personnages (pauvres personnages, pauvrement écrits, pauvrement interprétés).
Monstre sentimental confit dans sa sinistrose et ses velléités de liberté, After se condamne dès lors à compulser les lieux et les environnements pour mieux égarer sa misère nostalgique. Et quand même les chemins de traverse dont il paraît faire ses rails réserveraient quelques surprises (la séquence de la boîte de nuit, par exemple, laisse un temps rêver que le film se secoue un peu), il dissimulerait mal la courbe strictement rectiligne à laquelle s’en tient sa dérive balisée. En moto ou en vélib’, on sent bien qu’After rêve grand cinéma. Le hic, c’est qu’il pense mauvais théâtre : les intermèdes en deux roues – nombreux – semblent ainsi disposés uniquement pour permettre aux décors de coulisser dans notre dos, à l’équipe technique de discrètement trimballer tout son matériel. Visiblement piloté par un chargé de production, déroulant sa mise en scène à ras de son planning de tournage, After invite à participer à une soirée trop bien préparée. Une soirée qui ne prendrait jamais, et qu’on s’efforcerait pourtant à faire réussir.
Frappé d’une indolente consternation, on se retrouve ainsi face au désastre d’un film totalement sourd à sa propre nullité. Géraldine Maillet, bien que ratant ses scènes l’une après l’autre, semble pourtant toujours déterminée à se rendre à la suivante. « Courageuse mentalité », « noble opiniâtreté » pourra-t-on objecter. Peut-être. Mais expérience gênante, quoi qu’il en soit, et spectacle navrant, vraiment, tant on a l’impression d’assister à une épreuve hippique durant laquelle un malheureux cavalier dégommerait une à une les barres d’obstacles, et, qui, en dépit de tout discernement, insisterait chaque fois plus pour prolonger le supplice.