Avec All About Albert, titre curieusement recalibré pour le marché français dans un élan programmatique qui fait curieusement référence à Mankiewicz et Almodóvar, les sériephiles seront surtout tentés de lire : All About James. James comme James Gandolfini, bien sûr, présence écrasante au propre comme au figuré de ce film charmant bien qu’anecdotique, merveilleusement porté par un casting quatre étoiles duquel émerge, impérial, l’interprète de Tony Soprano. Hasard du calendrier, le dernier rôle réellement marquant de Gandolfini sera donc celui-ci, et c’est bien là la réussite improbable du film, indépendamment de la volonté de sa réalisatrice Nicole Holofcener. All About Albert émeut par sa capacité à remplir le vide béant laissé par l’acteur depuis sa disparition, tout en projetant un effet miroir sur le spectateur endeuillé.
Reconnaissons néanmoins au film ses qualités propres, au-delà de ce qui en échappe à sa réalisatrice. All About Albert est, de loin, le film le plus réussi de Nicole Holofcener, pur produit de l’écurie Sundance des années 1990, dont la filmographie totalement insignifiante est finalement moins intéressante que la liste des séries auxquelles elle a collaboré en tant que réalisatrice : Sex & The City, Gilmore Girls, Six Feet Under, Bored to Death, Parks & Recreations, Enlightened… Des séries qui montrent un goût certain pour la comédie décalée et le drame absurde, et qui auront aussi sans doute encouragé la cinéaste à s’entourer d’acteurs issus de la télé : outre Gandolfini, on saura gré à Holofcener d’avoir réussi à convaincre Julia Louis-Dreyfus (Seinfeld, Veep), rien moins que l’une des plus grandes actrices comiques de sa génération, de tenir le rôle principal de All About Albert.
Comédie du remariage
Le scénario, digne d’une pièce de boulevard, raconte l’histoire d’Eva, masseuse divorcée qui va au cours d’une même soirée faire la connaissance d’Albert, sympathique bonhomme lui aussi séparé, et de Marianne, poète célèbre qui va en faire à la fois sa masseuse et sa confidente. Alors que sa relation avec Albert devient de plus en plus sérieuse, Eva réalise qu’il est également l’ex-mari de Marianne, qui ne cesse de le débiner. Ce n’est évidemment que le début d’une suite de quiproquos qui vont plonger Eva dans une situation de plus en plus impossible à maîtriser… En dépit de ce pitch improbable, Nicole Holofcener parvient à lever le pied sur les effets comiques grotesques et s’attache plutôt à brosser les portraits de deux quinquagénaires en proie aux affres de l’amour et du désir. C’est plutôt réussi, grâce à quelques dialogues bien sentis et une poignée de scènes joliment esquissées : ici, l’intimité maladroite partagée entre un homme pas très à l’aise avec son corps et une femme qui retrouve le plaisir de séduire ; là, ces moments incongrus où les deux amants se présentent leurs grands enfants sans trop savoir où cela va les mener. Le film déroule sa jolie mélodie mélancolique, quelquefois perturbée par ses ressorts comiques un peu redondants, en s’appuyant sur le talent de ses comédiens : outre Gandolfini et Louis-Dreyfus, on retrouve notamment Catherine Keener et Toni Collette, deux actrices dont on ne se lassera jamais de vanter les mérites.
Et puis il y a donc ce géant doux à la voix de nounours fatigué, dont la présence ici agit sur ses partenaires (et les spectateurs) comme un champ magnétique. À quoi cela tient-il ? Probablement à sa façon d’occuper l’espace et l’écran avec un mélange d’assurance cool et de gaucherie réellement émouvante, parce que jamais feinte. Mais aussi parce que nous savons que ce roc a priori indestructible n’est plus là. Sa disparition donne une ampleur inattendue à chacune de ses scènes. Dans le dernier tiers du film, un poil convenu dans sa progression dramatique, la mise en retrait du personnage fait curieusement écho à la mort de l’acteur, dans une sorte de mise en abyme involontaire et presque troublante. Tout rentre plus ou moins dans l’ordre dans la vie des personnages inventés par Nicole Holofcener : la fin, ouverte et apaisée, est plutôt une réussite. Gandolfini est parti, mais le dernier plan du film offre une jolie conclusion à la filmographie d’un acteur avec lequel l’expression bigger than life prenait tout son sens.