L’art de la satire est complexe. Entre le risque d’enfoncer des portes ouvertes à grands coups de rires gras et la crainte d’en faire trop et de passer à côté de leur cible, nombreux sont les films prétendument anti-politiquement corrects qui, finalement, ne se sont avérés que des pétards mouillés : on se souvient avec peine des récents Des hommes d’influence (Barry Levinson, 1997) et Couple de stars (Joe Roth, 2001) qui, sous couvert de disséquer avec ironie les plans média des dirigeants ou les petits travers d’Hollywood, étaient aussi subversifs qu’une émission de Laurent Ruquier en « access prime time ».
Si certains cinéastes tels que Robert Altman (The Player, 1992) ou David O. Russell (Les Rois du désert, 1999) ont réussi à maintenir ce fragile équilibre entre humour et pertinence du propos, c’est probablement parce que ni l’un ni l’autre n’ont négligé l’investigation au profit d’un comique de situation certes efficace, mais pas vraiment révolutionnaire. American Dreamz, le nouveau film de Paul Weitz, place très clairement la barre à ce même niveau d’exigence. Weitz n’est pas un grand cinéaste mais il reste tout de même un habile « faiseur » hollywoodien relativement sous-estimé : sa filmographie, de la série des lourdingues American Pie au joli hommage à Capra qu’était En bonne compagnie (2004), atteste une réelle évolution dont cet American Dreamz semble vouloir marquer l’aboutissement.
Il faut reconnaître au réalisateur une belle ambition : croiser dans le même film une attaque en règle du gouvernement américain et une satire au vitriol de la télé-réalité en parodiant le plus gros succès du genre, American Idol (équivalent américain de notre Nouvelle star), demande une certaine finesse. Et le scénario, tellement énorme qu’il en deviendrait presque potentiellement réaliste, ne ménage rien ni personne : lorsque le Président des États-Unis (Dennis Quaid), fraîchement réélu, décide de lire la presse pour la première fois de sa carrière, il sombre dans une dépression aussi soudaine qu’irrémédiable devant l’ampleur de la tâche à accomplir. En chute libre dans les sondages, il accepte de participer en tant que juré à l’émission la plus populaire de la télévision américaine, American Dreamz, présenté par le cynique Martin Tweed (Hugh Grant). Lequel a particulièrement soigné son casting : une bimbo arriviste, un rabbin obsédé par le rap et un jeune candidat à l’attentat suicide mandaté pour se faire exploser lors du prime en présence du Président… Évidemment, rien ne se passera comme prévu.
En voulant brasser autant de thèmes aussi casse-gueule, Paul Weitz signe, forcément, un film très inégal. Les passages concernant l’émission et la critique sous-jacente de la société du spectacle sont les plus réussis : le cinéaste et ses comédiens s’en donnent à cœur joie sans surjouer la parodie d’un modèle déjà suffisamment grotesque pour alimenter d’innombrables ressorts comiques. Hugh Grant excelle dans l’art du cynisme le plus abject et la chanteuse Mandy Moore est une vraie révélation dans le rôle de la candidate aux dents longues (on pense à Nicole Kidman dans Prête à tout de Gus Van Sant). Weitz est en revanche moins à l’aise dès lors qu’il s’aventure dans les coulisses de la Maison Blanche. Caricaturer George Bush en Président inculte et benêt, c’est évidemment plutôt drôle mais cela n’apporte rien de bien neuf au débat… D’autant plus que Dennis Quaid est un peu trop beau gosse pour incarner de façon crédible les turpitudes de la présidence. Seul Willem Dafoe, dans le rôle plus vrai que nature d’une sorte de Dick Cheney aux commandes du bureau ovale, prend un plaisir communicatif à marcher sur le fil ténu qui sépare le comique grossier du jeu de massacre bien senti.
Reste la partie la plus sensible du film, celle qui suit les aventures d’Omer, le chanteur arabe qui ne rêve que de Broadway quand ses pairs voudraient faire de lui le martyr qui se ferait exploser en direct avec le Président. En privilégiant un humour pas toujours très fin et en prenant le parti d’exploiter les clichés les plus énormes sur l’épineux sujet du terrorisme, Paul Weitz ne fait pas toujours dans le bon goût. Mais grâce à un comédien extraordinaire (Sam Golzari) qui transcende les situations les plus ridicules et, surtout, grâce à un regard dénué de toute condescendance, Weitz maintient une légèreté, une candeur qui le préserve de toute vulgarité, malgré le plomb qui leste nombre de dialogues et autres effets comiques. Finalement, American Dreamz est une satire un peu fourre-tout, pas toujours très fine ni particulièrement pertinente, mais aussi jouissive qu’une boîte de chocolats dévorée devant un bon vieux programme de trash TV.