Si la présence de Stephen Dorff en tête d’affiche de cette toute petite comédie fantastique vous rappelle Somewhere de Sofia Coppola, ce n’est pas complètement fortuit. Dans ce film comme dans l’autre, le comédien joue le rôle de l’homme qui a brûlé trop vite ce que la vie lui a donné, et dont la fibre paternelle lui tend une perche pour la rédemption. Ici s’arrête la comparaison, et ce n’est déjà pas mal. Melvin, l’ « American hero », est un brave type de La Nouvelle-Orléans ayant le don de télékinésie. S’il a pu s’en servir héroïquement par le passé (au point de devenir un petit super-héros local connu de tous), il s’est depuis enfermé dans une vie de plaisirs faciles et destructeurs, au point de ruiner son mariage et ses chances d’élever son petit garçon. Il lui faut les mises en garde de son ami fidèle, des déboires judiciaires et de sérieuses alertes de santé pour comprendre qu’il lui est urgent de revenir dans le droit chemin, en mettant de nouveau son don au service de la communauté. Ce qu’il fait, non sans mal mais vraiment sans surprise.
Oui, c’est aussi générique, dérivé et sommaire que cela sur le papier. Et non, l’exécution de ce programme de synopsis n’est pas vraiment plus subtile à l’image, à tel point qu’on peut légitimement douter que Nick Love (réalisateur anglais de films d’exploitation à tendance beauf, dont c’est la première incursion américaine) s’intéresse sincèrement au chemin de croix de son personnage, s’occupant surtout à le faire gesticuler dans ses (més)aventures. De fait, le gimmick qui habille (très) vaguement le film en pseudo-reportage sur Melvin, suscitant ainsi plusieurs adresses de personnages à la caméra (autrement dit, au spectateur en « brisant le quatrième mur »), ne sort pas de nulle part. D’un bout à l’autre, American Hero fait montre d’un certain attrait pour le reality-show, avec sa caméra suiveuse, ses adresses au public d’un air de guide, ses mea-culpa et déclarations d’intentions démonstratives, ses témoignages édifiants (récupérant au passage des événements traumatiques réels tels que la seconde guerre du Golfe ou l’ouragan Katrina), et même une certaine atonie dans le jeu des acteurs, comme si le rapprochement avec des personnages de télé-réalité était fait exprès. Attrait superficiel, cependant, parce que le film ne pousse guère plus loin le mimétisme (ne parlons même pas d’un travail sur cette fascination), tenu d’autre part de mener son récit conventionnel, retenu également par une envie un peu stérile d’ironiser — pour la forme — sur ce spectaculaire télévisuel même, avant tout par sa figure de héros déchu accro à la drogue, aux filles et aux petites combines.
Effets « spéciaux » ?
D’où un produit un peu hybride et à l’opportunisme éparpillé, entre balbutiements d’un docu-menteur surjoué (façon télé-réalité), film de super-héros sans costume (façon Chronicle) tentant grossièrement une ironie très commerciale sur l’archétype (façon Hancock ou Deadpool), petit drame moraliste, et qui ne brille sur aucune de ces pistes faute de vrais choix sur ce qu’il a envie de raconter, l’air de ne savoir qu’en faire. Reste tout de même un corollaire plutôt fascinant de ces intentions, qui résulte, lui, bel et bien d’un choix : les effets spéciaux, par lesquels les manifestations de télékinésie sont illustrées. Ils s’exercent avec un minimalisme qui, au moins par l’intention, se montre l’argument le plus convaincant opposé à la tendance actuelle de la représentation démonstrative de super-pouvoirs (ne serait-ce que par la configuration réduite des espaces où ils interviennent : ici on ne traverse pas de gratte-ciels). Leur mise en œuvre est économe (on devine que peu de « fonds verts » ont été utilisés), et leur mise en images, conforme au gimmick de faux reportage, se retient de découper leur action, chaque manifestation éclatant dans un plan unique. On pense là aussi à Chronicle, à ceci près que Nick Love a le bon goût, dans ces moments-là, de ne pas surjouer la fébrilité « sur le vif » comme Josh Trank.
Néanmoins, même de ce côté-là, le résultat s’avère incertain. Si l’on sent bien un effet de réel pointer dans ces trucages surgissant au sein d’un plan photographique, leur efficacité se trouve amoindrie par une mise en scène timide qui, faute d’un travail sur l’espace, le mouvement, les forces ou la profondeur de champ, en rend une retransmission amoindrie, comme aplatie, qui rend à leur état de bidouillage d’images. La scène la plus spectaculaire est d’ailleurs celle qui expose le plus cruellement le problème : après avoir suivi Melvin entrant dans un immeuble pour s’occuper d’un bad guy, la caméra se détourne et se fixe pour filmer à distance un immeuble voisin en train de s’effriter lentement et de s’écrouler, effet secondaire incontrôlé du pouvoir du personnage. On ne peut alors s’empêcher de penser qu’il manque un truc, comme un œil vraiment inspiré de cinéaste, pour que cette scène frappe comme autre chose qu’un beau travail numérique. Manque semblable à celui qui handicape ce film, l’empêchant d’atteindre l’impertinence, l’efficacité modeste et l’émotion intimiste auxquelles il prétend.