Surprenant de revoir un American Pie dans les salles françaises, neuf ans après un troisième épisode nuptial réalisé par le fils de Bob Dylan, et surtout après une poignée de spin-offs connus chez nous directement en vidéo et qui ont achevé de dépiauter un concept déjà faiblard à l’origine. Rappelons brièvement celui-ci : partir d’un postulat de sitcom pour ados reprenant les mêmes personnages (majoritairement mâles, hétérosexuels et WASP, et s’adressant à un public identique — les femmes n’existant que vis-à-vis des hommes), et le parsemer de quelques scènes bien graveleuses propres à choquer le bourgeois et à afficher un semblant de transgression, en respectant cependant quelques règles dont les quatre suivantes (pour les épisodes sortis en salles) :
1°) Jim (Jason Biggs) se livre à un acte sexuel le mettant dans une position embarrassante (comme avec la tarte éponyme dans le premier épisode).
2°) Stifler (Seann William Scott), le boulet de la bande enclin à la scatologie et aux prouesses sexuelles sur lesquels il déblatère tellement qu’on douterait qu’elles soient réelles, ingère une excrétion corporelle.
3°) Finch (Eddie Kaye Thomas) couche avec la mère de Stifler (Jennifer Coolidge).
4°) Bien prendre garde que la sitcom, malgré toutes ces perturbations, retombe bien sur ses pieds.
Ainsi codifié, chaque épisode affiche invariablement un étalage de situations insultant joyeusement le bon goût, mais comme autant de récréations régressives et plus ou moins nécessaires dans un programme jamais remis en cause, finalement bien peu transgressif et auquel cet humour peine à insuffler quelque subversion, sous-texte nouveau voire émotion insoupçonnée, comme on peut en trouver, par exemple, chez les frères Farrelly. Les poussées de « politiquement incorrect » sont réduites à des incartades sans conséquence, amusant la galerie par à‑coups, mais tout juste bonnes à donner un air polisson à un récit somme toute conventionnel.
Devenu ici sitcom pour anciens ados, American Pie 4, plutôt franc avec lui-même tandis qu’il tente de remettre le couvert, ne masque guère le regard de père de famille pantouflard qu’il jette sur ces schémas jadis jetés en appât au jeune public. Les quatre personnages mâles principaux, devenus des trentenaires rangés et nostalgiques de leurs illusions de jeunesse (touchant principalement à leur masculinité), organisent un week-end de retrouvailles d’anciens condisciples de fac (la promotion 1999 au centre du premier film) où ils espèrent renouer avec les plaisirs débridés de jadis. De façon prévisible, le film joue sur deux tableaux. D’une part, il envoie ses personnages exécuter de nouvelles facéties conformes au programme familier, quitte à y introduire un peu de féminisme et d’homosexualité en guest-stars. D’autre part, il affiche et tente de susciter la compassion envers le vieillissement de ces mêmes personnages (et par là même, des American Pie), notamment en les confrontant aux ados des années 2010, paraît-il plus délurés qu’eux-mêmes ne l’étaient. La façon dont il fait alors mine de signifier le fossé entre générations est pour le moins dérisoire (Stifler prêt à se déclarer fan de Twilight pour emballer des jeunettes : bof).
Jouir comme entrave
On touche là au problème de ce nouvel — ultime ? — épisode peinant à faire exister à l’écran son humour, son supposé esprit ado plus ou moins éloigné, son regard rétrospectif, voire simplement ses personnages : c’est que de toute évidence, plus personne à bord n’y croit vraiment. Il suffit de voir Seann William Scott rejouer mécaniquement, et avec une énergie contrefaite, sa partition de gros lourd « crado » mais parlant plus de cul qu’il ne le pratique (Stifler s’apparentant dès lors à une sorte de bruyante marionnette de foire, vaguement monstrueuse au milieu des camarades aspirant à une sexualité plus « normale »), pour prendre la mesure de l’exécution robotisée, peu habitée et peu convaincue du cahier des charges. Même la fin donnant le signal de la copulation générale, affront potentiel au puritanisme hollywoodien, n’apparaît guère comme autre chose que la conclusion attendue et assez réductrice, la satisfaction des désirs (surtout mâles) formulés au début. C’est aussi le seul moment du film où l’acte sexuel survient sans contrariété gaguesque - et celui-ci se présente alors sous son aspect purement hygiénique : la jouissance comme rabibocheur de couples et consolateur de mâles en perte de confiance. Qu’il soit alors permis de faire nôtres les mots de Serge Daney pour décrire une telle hygiène, une telle régulation de la jouissance de cinéma :
Cette hygiène fait rire comme gag, elle déprime un peu comme idéologie (rien de plus hétéro-triste), elle accable comme principe esthétique. (…), tout participe, non de la recherche effrénée du plaisir (…), mais de la recherche de la satisfaction.
Malgré les efforts forcenés de certains, quelque part ici, la chair reste triste.