En 2004, Pete Travis réalisait sous la houlette de Paul Greengrass Omagh, récit de politique-fiction qui prenait efficacement la suite thématique de Bloody Sunday. Aujourd’hui, ce même Pete Travis réalise son Rashomon à lui, autour de l’assassinat d’un président des États-Unis par un groupe terroriste. À perspective alléchante, déception immense : Angles d’attaque a tout du film inféodé aux lois narratives de la série télé américaine (24 en tête évidemment), version politiquement correct.
Le président Ashton des États-Unis, en visite dans la capitale d’une république sud-américaine, est assassiné dans un attentat. Le même événement est vécu par des centaines de personnes : parmi elles, certaines auront un rôle prépondérant. Chacune aura un rôle, chacune une vision, et toutes seront importantes dans le déroulement des événements.
Il y a plusieurs erreurs qui menacent une production de « type Rashomon », si l’on ose dire – ou plutôt une forme de récit déconstruit et jouant sur le parallèle de nombre de visions autour d’un événement donné. Confier la majorité des rôles centraux à une ribambelle de stars, au risque de les voir prendre le pas sur leur personnage et sur le récit pourrait en être une. On frémit d’avance à la vue de la distribution de cet Angles d’attaque : Forest Whitaker, William Hurt, Sigourney Weaver, et Dennis Quaid se partagent (notamment) la vedette. Craintes inutiles cependant : on aura rarement aussi mal utilisé Sigourney Weaver dans un film ; William Hurt est passablement atone ; quant à Dennis Quaid, il compose un mélange entre Dirty Harry et Jack Ryan tout en cabotinage – style qui ne lui sied guère. Ayant la chance de s’être vu confier un personnage plus écrit, et plus humain, Whitaker s’en sort quant à lui avec les honneurs – il convient cependant de s’interroger sur la pertinence de bâcler et de dessiner à traits si gros une galerie de personnages.
Derrière la caméra, Pete Travis semble vouloir mixer la forme narrative de Memento et récit rigoureux des thrillers politiques des années 1970, le tout avec une pointe de French Connection pour lier le récit au moment où il convient – un mélange qui, s’il témoigne d’une certaine originalité et d’une certaine érudition, montre surtout une forte incapacité d’innovation et de renouvellement du genre qui invalide ces deux précédentes qualités. C’est d’autant plus dommageable lorsque le scénario ne maîtrise aucunement l’homogénéité de son déroulement – témoin en est la scène de poursuite – à French Connection, donc – invraisemblablement longue, gratuite, et narrativement inutile. Utilisée pour amener les différents fils du récit à se rencontrer, elle démontre surtout la gratuité du récit et son incapacité à assumer les trous du scénario.
Car c’est avant tout ce qui pèche dans cet Angles d’attaque, qui se propose modestement de réactualiser le propos du thriller politique avec la thématique, ô combien actuelle et propice aux dérapages, du terrorisme. On notera avec un regard amusé que si tous les rôles proposés aux stars du casting sont ceux des « gentils », un grand nombre de rôles de terroristes ou de personnages troubles sont alloués à des acteurs à la carrière moins populaire. Ce serait, probablement, un trop grand risque que d’exposer de grosses stars hollywoodiennes à des rôles si éminemment impopulaires. Comme il serait certainement impopulaire de s’interroger vraiment sur la question du terrorisme. Angles d’attaque ne se posera jamais la question des raisons derrière les actes des assassins – mais surtout, il sert le triomphe sur un plateau à ses héros. Cette victoire n’est aucunement légitimée par leurs actions, par la rigueur de leur raisonnement, ni la droiture de leur moralité. Un simple hasard, une énorme incohérence, et voilà les terroristes floués dans leur tentative. Une seule conclusion s’impose : si le seul hasard légitime la victoire de « l’axe du bien », c’est par une intervention divine, pure et simple.
On ne sait réellement où donner de la tête, dans cet Angles d’attaque : acteurs sous-employés ou simplement mauvais ; scénario ambitieux et prétentieux qui finit par n’être qu’un patchwork d’amateurismes divers ; propos volontairement moraliste et nauséabond ; sujet polémique au traitement complètement atone ; options visuelles arty promptes à déclencher des crises d’épilepsie chez les spectateurs… La liste serait encore longue, pour ce qui restera probablement l’un des films les plus emblématiques de ce qu’un certain cinéma hollywoodien très formaté et incapable de se remettre en question peut avoir de désagréable.