Sélectionné cette année en compétition officielle à Cannes et injustement boudé pour certains par le jury, le nouveau film de Mike Leigh est une comédie douce-amère sur « le tourbillon de la vie », le temps qui passe, les relations homme/femme… Un brassage de thèmes relativement indigeste, où la virtuosité des dialogues peine à masquer un formatage du film choral qui sent le renfermé.
Another Year, que l’on pourrait traduire en français par « Une année de plus », charrie son lot de petits événements, toutes ces choses qui ponctuent la vie, et la rende tantôt triste, tantôt joyeuse. Au rythme des saisons, le récit avance de blocs séquences en ellipses, et tourne autour de Tom et Gerri (sic), couple heureux et pépère dont le hobby principal est de cultiver leur potager. Métaphore évidente du temps qui passe, de la mort et de la régénération, à laquelle vient se mêler tout un lot de personnages satellites qui constituent les proches du couple. D’un côté, il y a Mary, célibataire cinquantenaire malgré elle, et qui en pince un peu pour Joe, fils de Tom et Gerri. De l’autre, il y a Ken, célibataire endurci et mal dans sa peau, qui se morfond d’amour pour Mary même si elle le rejette. Tous deux ont comme point commun de noyer leur spleen dans l’alcool, et deviennent rapidement, malgré les bonnes intentions qui les animent, un fardeau pour cet entourage si bienveillant.
Mike Leigh met en scène des tranches de vie, avec le brin d’ironie et de causticité qui font les chroniques âpres du désœuvrement. Le film est remarquablement interprété par l’ensemble des acteurs, qui forment une troupe attachante et crédible, et les dialogues font mouche. Pourtant, plus le film avance, plus il devient évident que quelque chose cloche. Est-ce dû à la mise en scène un rien plan-plan, à l’académisme des cadres, à l’utilisation sagement stéréotypée de la lumière (printemps = couleurs chatoyantes, hiver = gris) ? Cela ne suffirait pas à cerner le problème, mais c’en est un évident symptôme. Le fait est que tout semble tellement couler de source, sans véritables heurts, que la vie que cherche à saisir Mike Leigh n’apparaît jamais véritablement à l’écran. Tout est calculé au millimètre près, la moindre réplique, les petits regards à la dérobée, pour finir par constituer un dispositif régi par des codes très précis qui confinent à une dérangeante artificialité. Et l’humour développé par les situations n’arrange rien à l’affaire, car il administre savamment la dose attendue : un brin de cruauté par-ci, une pincée de dérision par-là. Tout ceci forme un ensemble acerbe, dans un mouvement qui se voudrait être à l’image d’une représentation classique des relations entre proches : alternance entre attachement et haine, hypocrisie et jalousie, réconciliations, abandon.
Le film devient plus attachant lorsqu’il abandonne ces flonflons, ce ton ironique qui en fait une démonstration trop virtuose d’écriture, pour mettre à nu le désarroi du personnage de Mary. La description de ses rapports avec Tom et Gerri constitue le véritable cœur du récit, et montre habilement que sous couvert de leur aspect accueillant, ce couple ne peut s’empêcher d’étaler son confortable bonheur aux yeux de tous sans pour autant vouloir leur prêter assistance. Cela étant, Mike Leigh semble éprouver quelques difficultés à choisir son camp, au nom de cette neutralité avec laquelle on doit prétendument composer lorsque l’on cherche à dépeindre des tranches de vie. Et c’est bien là que se trouve le problème de fond de ce film choral : à vouloir creuser des trajectoires contradictoires avec le regard distancié d’un Deus ex-machina, on finit par construire un petit théâtre de marionnettes pour lesquelles on ne ressent qu’une empathie diffuse, expression d’un déterminisme désagréable qui dirait simplement « c’est la vie ! » L’éternel recommencement des saisons, ponctué par la même ritournelle au violon pleine de bons sentiments, vient finalement accréditer la thèse émise par le titre : c’est juste une autre année, ni plus, ni moins.