Issus des sélections cannoises, l’un en compétition officielle, l’autre à Un Certain Regard, Elle et Apprentice ont pour autre point commun de faire de leur personnage principal la progéniture d’un père meurtrier. Leur sortie en salles à une semaine d’intervalle renforce ce sentiment de proximité.
Pour tout dire la comparaison ne joue pas vraiment en faveur du film de Boo Junfeng, son deuxième long-métrage après Sandcastle, sélectionné en 2010 à la Semaine de la Critique mais jamais distribué en France à ce jour. Là où Paul Verhoeven sonde le trauma de son héroïne pour mieux le distordre, en faire surgir toutes les résurgences des plus inquiétantes au plus comiques, le réalisateur singapourien se contente d’en faire le seul et unique trait de caractère du jeune gardien de prison en quête d’un nouvelle figure paternelle dont nous suivons les pas.
Ligne droite
Apprentice est du coup un film en totale ligne droite qui ne provoque guère de surprise sur le plan narratif. On est de bout en bout dans une quête de rédemption de facture très classique, où on assiste à un enchaînement quasi programmatique des séquences obligatoires du genre choisi. Le balancement entre l’attraction morbide provoquée par le métier de bourreau – profession incarnée par ce père de substitution tant recherché – et l’appel à un retour à la vie – que la sœur du maton représente par son désir d’ailleurs (elle veut déménager en Australie) – structure le récit autour d’un ping-pong existentiel finalement assez pauvre.
Car en réalité la dialectique à l’œuvre – sursignifiée à grands coups de montage alterné – reste surtout du domaine de l’intention. Le personnage de la sœur est réduit à la portion congrue, rattaché à des séries d’appels téléphoniques qui sonnent d’ailleurs souvent dans le vide. Ce qui est on ne peut plus logique puisque ces deux êtres n’ont en fait que peu de choses à se dire. La piste de la relation incestueuse mise en scène sans finesse – par de multiples regards en coin et plusieurs crises de jalousie déplacées – n’est jamais vraiment creusée et fait se demander pourquoi Boo Junfeng s’attarde autant sur un tel non-événement.
De même, si la tentative de trouver une échappatoire dans un nouveau rapport filial s’avère davantage fouillée, et apparaît même comme le cœur nerveux du film, elle finit toutefois en queue de poisson à la faveur d’un rebondissement convenu. Toute la tension dramatique accumulée autour de la possibilité d’une confrontation entre le jeune gardien de prison et son supérieur hiérarchique – qui n’est autre que celui qui a exécuté son paternel – s’en trouve comme escamotée. On en reste encore et toujours au stade de l’illustration de la situation de départ, à la surface des relations humaines qui s’y jouent, ce qui se révèle assez frustrant.
Beauté plastique
Car pour Boo Junfeng, l’essentiel semble être ailleurs que dans le traitement psychologique. Apprentice est d’une beauté plastique incontestable. La photographie est impressionnante, toute en clair-obscur, avec une densité des noirs qui n’est pas sans évoquer certains thrillers coréens de Na Hong-jin (The Chaser, The Murderer…). Tous les gestes liés à la pendaison sont filmés avec minutie, de façon presque bressonienne, décomposés dans leur processus de mort, du choix de la taille de la corde au maniement du levier actionnant la trappe fatale. Cette volonté de coller au réel d’une exécution, avec un aspect très documentaire dans la précision, est d’ailleurs la part la plus fascinante du long-métrage. Travaillant chaque plan au cordeau, avec un sens remarquable du cadre, le cinéaste a cependant tendance à confondre maîtrise et pose.
Pour preuve, la grande séquence de dialogue entre le héros tourmenté et son père de substitution est peu à peu noyée par la fumée générée par leur consommation de cigarettes. L’effet, graphiquement superbe, fait décrocher du contenu même de la discussion. Il y a dans Apprentice un hiatus permanent entre la grâce pure de la forme et la volonté plus prosaïque de raconter une histoire qui tienne la route. Contenu et contenant sont comme traités de manière indépendante ce qui donne la sensation étrange d’avoir deux films en un, avec les qualités de l’un et les faiblesses de l’autre.
Résultat, au tout dernier plan, laissant une fin ouverte, on n’est bien en peine d’imaginer le futur du personnage principal. Boo Junfeng ne nous l’a jamais fait aimer ou détester. Ni même comprendre. Son sort nous indiffère.