Sur le papier, et si l’on se fie à sa bande-annonce, Aurore est de ces films qui, s’ils ont l’air plutôt sympathiques, donnent le sentiment d’avoir été déjà faits, et déjà vus, cent fois. Le portrait d’une quinquagénaire en crise qui va tenter tant bien que mal de faire face à l’adversité, qu’elle soit conjugale, professionnelle ou intime ? Aurore ferait presque un peu peur, tant son pitch fourre-tout peut tanguer du téléfilm « qualité France » au drame bourgeois en chambre de bonne. Mais Aurore (le film comme le personnage) a des ressources, et en premier lieu une actrice que l’on avait rarement vue aussi à l’aise, en parfait équilibre dans la maîtrise du verbe et du corps. C’est précisément ce qui fait tout le sel du film, réalisé par Blandine Lenoir (également co-scénariste) : s’il brille souvent par ses réparties qui font mouche, ses dialogues savoureux et ses situations gentiment cocasses, il émeut surtout par sa capacité à aborder, par le truchement d’une caméra bienveillante, la question du corps d’une femme mûre, sa beauté et sa place dans la société.
Verre un peu trop plein
Aurore raconte donc l’histoire d’une femme divorcée qui perd son travail, apprend qu’elle va être grand-mère et se coltine les affres des débuts de la ménopause. Malgré tout, Aurore est entourée : par ses filles, par sa meilleure amie, par les rencontres qu’elle fait parfois, au gré des petits boulots et des soirées entre amis. Un jour, elle re-croise son amour de jeunesse, Totoche. Et s’interroge sur la possibilité de renouer avec la flamme de ses vingt ans, quand la vie est passée par là et que la vieillesse guette… Blandine Lenoir s’appuie sur un canevas de comédie assez classique, qui fait parfois ressembler son film à une succession de sketches dont on peut redouter, dans le premier tiers, qu’il ne s’effiloche, faute d’une structure solide. Les diverses expériences d’Aurore avec Pôle Emploi, avec des boîtes d’intérim ou encore avec des employeurs peu scrupuleux sont des réserves inépuisables de gags souvent franchement drôles (grâce notamment aux comédiens qui passent le temps d’une scène ou deux, de Laure Calamy à Samir Guesmi), mais donnent parfois un sentiment d’éparpillement. Les atermoiements conjugaux de ses deux filles ajoutent à cette impression de trop-plein : vouloir donner de la consistance à tous les personnages qui gravitent autour de l’héroïne, c’est bien, mais un peu court sur 1h30…
La beauté des gestes
C’est lorsque le film se recentre sur Aurore, ses doutes, ses joies et les quiproquos dans lesquels elle plonge la tête la première, qu’il trouve sa colonne vertébrale. C’est un très beau personnage, auquel Agnès Jaoui prête son bagout, sa spontanéité et son corps avec une belle abnégation. Aurore ne s’apitoie jamais sur son sort, ne se complaît pas dans les petits malheurs qui viennent jalonner son existence, mais elle se laisse aller aux rires autant qu’aux larmes. Son expression est celle d’un être spontané et entier, tout autant ravagé par la certitude de ne jamais bien faire que le désir d’aller de l’avant, même s’il c’est en zigzaguant. Autour de cette force centrifuge, jamais plus bouleversante que lorsqu’elle trébuche et se relève aussitôt, quelques seconds rôles solides apportent des bouffées d’humour pur (Pascale Arbillot, parfaite dans le rôle pourtant souvent ingrat de la meilleure copine) ou de délicatesse (Thibault de Montalembert, très touchant en ex-petit ami qui retombe amoureux), mais c’est toujours pour mieux servir ce personnage qui semble se construire en permanence, au fur et à mesure que le film avance.
Aurore est un sujet passionnant, parce que foncièrement imparfait. Lorsque Totoche lui déclare ne plus vouloir souffrir, parce qu’il est désormais trop vieux pour le supporter, Blandine Lenoir filme essentiellement le visage d’Agnès Jaoui, qui semble trahir mille réactions. L’actrice est constamment filmée telle qu’en elle-même, avec la volupté de son corps arrondi et de ses traits tour à tour familiers et différents ; elle qui a souvent, dans ses propres films et ceux des autres, incarné physiquement la figure de l’intellectuelle, un peu froide, un peu hautaine, se délecte ici de jouer de manière beaucoup plus physique (elle en avait déjà donné un aperçu radieux dans Comme un avion, de Podalydès). Sa volonté manifeste d’incarner de toutes ses forces un personnage populaire, au sens le plus noble qui soit, dans un film tout entier tourné vers les autres, donne à Aurore le goût des retrouvailles avec une vieille amie que l’on regrette d’avoir trop longtemps délaissée.