Un médecin, un quartier populaire, un cas de conscience : on pouvait croire, pendant quelques instants, que dans le Grand Théâtre Lumière se projetait à nouveau La Fille inconnue. Impression très vite dissipée par le sentiment que Baccalauréat réussit précisément là où les frères Dardenne (qui d’ailleurs sont coproducteurs du film roumain) échouaient. Alors qu’ils propulsaient Adèle Haenel au devant d’un fait divers pour faire un portrait de groupe entaché par la culpabilité de chacun, Baccalauréat détourne totalement le propos de son intrigue policière pour s’en servir comme point de départ d’un théorème. Face à un événement d’une injustice criante, quelle réaction doit être celle d’un père de famille aimant et responsable ? À quelques jours des premières épreuves du baccalauréat, la fille d’un médecin est agressée en plein jour. Blessée au bras et choquée, cette excellente élève risque de ne pas obtenir la note très élevée qui lui permettrait de valider sa candidature à Cambridge. Quitter le pays représente pourtant pour cette famille classe moyenne supérieure l’unique possibilité d’avoir un destin. Face à l’espoir d’un avenir radieux que suscite le nom de l’université britannique, la réalité sociale de cette famille reste indistincte (le lieu à fuir est-il le quartier, le pays, l’Europe de l’Est tout entière ?) et ne tient que dans une métonymie de perturbations sonores hors champ : cri d’enfants, aboiements ou vibreur intempestifs de téléphones. Tout comme reste hors champ une violence sociale qui pèse davantage comme une résignation que comme un événement.
L’agression elle-même interviendra hors du cadre, mais plusieurs jets de pierre viennent aussi déranger le quotidien de cette famille tranquille comme autant de signes d’une menace permanente. Si l’attaque reste le point aveugle du film, c’est que Mungiu décentre le récit de la victime au père. Dès lors, celui-ci fera tout ce qui est en son pouvoir pour permettre la réussite de son enfant. La belle réussite du cinéaste est de déjouer la ligne attendue d’un scénario de l’accroissement de la violence pour au contraire désamorcer le plus possible les explosions d’agressivité. C’est le cas de la très belle scène où les parents évoquent sans cris le délitement de leur couple, ou lorsque la police se montre compréhensive face aux petits arrangements que le père a pris avec l’administration des examens. Aucune complaisance, aucune réaction outrancière ne vient réduire à des schémas narratifs la complexité des relations entre les personnages (on n’en dira pas autant du Client de Farhadi !). Être serviable, compréhensif, s’entraider sont autant de mots qui viennent surprendre un spectateur habitué à ce que ce sous genre du réalisme qu’est le récit d’injustice sociale prenne une forme de « tous coupables ». C’est par cette grande humilité vis-à-vis de ses personnages, tous animés des meilleurs intentions, et des situations que le cinéaste résiste à la tentation de fermer son film à des réponses toutes faites. Bien au contraire, il l’ouvre à des questionnements pleins d’empathie sur le renoncement à ses idéaux, la résignation, le compromis. Baccalauréat a beau ne pas être le film le plus surprenant qu’on aura vu dans cette sélection, il en reste un travail d’une subtile honnêteté porté par une mise en scène précise. C’est déjà beaucoup.