Cinéaste inspirée par les tourments de l’adolescence et les enjeux de pouvoir qui constituent le cœur même d’une relation passionnelle, Emmanuelle Bercot passe à la vitesse supérieure avec Backstage, premier projet d’envergure d’une filmographie à la fois confidentielle et surveillée de très près par les professionnels et la critique. Remarquée en 1998 avec La Puce, beau et troublant moyen métrage sur le dépucelage d’une jeune fille par un quarantenaire, Bercot a déçu, quoiqu’intrigué, avec Clément, son premier long métrage, là aussi récit d’une fascination illicite entre une trentenaire et un garçon de 13 ans.
Backstage ne s’éloigne pas de cet univers. La réalisatrice retrouve à cette occasion Isild Le Besco, qu’elle avait révélée dans La Puce et avec qui elle a déjà tourné quatre fois, de courts métrages en téléfilms. Encore une fois, elle se concentre sur une relation ambiguë, cette fois-ci entre une adolescente et une adulte : mais qui mieux qu’Emmanuelle Bercot pour dépeindre l’obsession, jusqu’au malaise, d’une jeune fan pour son idole ?
Le Besco incarne Lucie, une ado qui fuit sa morne existence dans une banlieue pavillonnaire en vivant passionnément son admiration pour la chanteuse Lauren Marks (Emmanuelle Seigner). Dans le cadre d’une émission télévisée style Stars à domicile, Lauren débarque un soir par surprise dans le foyer de Lucie. La violence de la réaction de cette dernière déstabilise et intrigue la star ; aussi, quand Lucie frappe à la porte de sa chambre d’hôtel le lendemain, Lauren la laisse entrer malgré les recommandations de son entourage. Dès les premières minutes du film, Bercot rentre dans le vif du sujet en jetant la troublante chanteuse (très clairement inspirée de Mylène Farmer) dans le glauque quotidien de son admiratrice de façon très crédible. En s’attardant avec minutie sur l’univers de la star, elle réussit à construire un personnage criant de vérité : des chansons (dont les textes ont été écrits par la sœur de la réalisatrice, Marine Bercot) aux pochettes de disques en passant par les costumes, tout est soigneusement étudié pour correspondre aux codes en vigueur dans le show-biz français. Par souci d’authenticité, Bercot a également recruté, pour le rôle du manager de Lauren, le très médiatisé Valéry Zeitoun, producteur de disques et juré de l’émission de télé-réalité Popstars (sa prestation dans le film ne devrait pas le mener à poursuivre une grande carrière au cinéma). Des coulisses de la préparation de l’émission télé à laquelle participe Lauren aux scènes de concert, Bercot nous invite dans les coulisses d’un monde de paillettes dont nous suivons avec délectation les indiscrétions.
Hélas, le voyage ne dure pas. Le personnage incarné par Isild Le Besco, tel un papillon fasciné par la lumière, se heurte très vite à la dure réalité du monde qui la fascine. La mystérieuse Lauren n’est évidemment pas la poète gothique que ses agents promeuvent dans ses clips, mais une petite fille capricieuse et paumée qui traîne son mal-être dans des hôtels luxueux. On s’y attendait, et Bercot s’engouffre sans aucune distance dans cette voie un peu trop balisée. Dès lors, le film ne tourne qu’autour de la confrontation entre la star caricaturale et la fan béate et limite psychopathe, sans rien apporter de bien neuf sur le sujet. On peut s’amuser des caprices et sautes d’humeur de Lauren pendant cinq minutes, mais très vite le film tourne en rond. Une sensation d’ennui et d’étouffement s’impose, accentuée par la quasi unité de lieu (la chambre d’hôtel) qui confère au film une impression de mauvais théâtre filmé.
Le pire est sans aucun doute l’absence totale de recul de la part de la cinéaste. Backstage est un film qui se prend terriblement au sérieux. L’image (signée Agnès Godard) est très tendance, dans un style « crado-chic » totalement impersonnel. Baignant dans cette esthétique « filles perdues, cheveux gras », les deux comédiennes mettent tant de conviction à se regarder souffrir qu’elles font un peu peine à voir. Emmanuelle Seigner a bien du mal à faire croire à un personnage écrit n’importe comment, dont on ne comprend jamais les motivations. Quant à Isild Le Besco, que la presse a tant comparée par le passé à Isabelle Adjani à ses débuts, elle a le mérite de se jeter à corps perdu dans le rôle de Lucie avec une louable sincérité, mais on peut reprocher à Bercot de n’avoir pas su lui donner de direction claire : laissée en roue libre, l’actrice noie vite son intensité dans une niaiserie hystérique difficilement supportable.
Quand surgit Samuel Benchetrit dans le rôle de l’ex-petit ami de Lauren, gueule d’ange et air ténébreux comme un rebelle de la Star Academy, on peut craindre le pire. Des craintes malheureusement fondées : Emmanuelle Bercot enfile les clichés comme les perles et rien ne nous est épargné. Lucie, à la fois obsédée par son héroïne et jalouse de ce qu’elle ne parviendra jamais à être, entame une liaison vampirique avec le jeune homme, qui tombe amoureux d’elle. Difficile de ne pas éclater de rire devant ce roman-photo pseudo-psychanalytique totalement exempt d’émotion et aux dialogues confondants de naïveté. On est loin des intentions affichées par la réalisatrice : « Avec mon co-scénariste, Jérôme Tonnerre, on a plutôt développé l’histoire comme on aurait raconté un fait divers ; en cherchant à être au plus près de la cruauté et de la violence du sujet, à être rigoureux dans le réalisme et la vraisemblance. » À l’arrivée, Backstage ressemble pourtant plus à un téléfilm copiant maladroitement JF partagerait appartement qu’au film rêvé par Emmanuelle Bercot : ni passionnel, ni cruel, ni troublant, il n’est que prétention et ennui.