Bruno Podalydès nous avait charmé, il est vrai, de ses précédentes errances, versaillaises ou non ‑on pense notamment à Voilà, Dieu seul me voit ou Liberté-Oléron- et de ses Pierrots lunaires un peu mal dans leurs peaux. Il revient, après deux escapades au pays de Gaston Leroux, sur les terres franciliennes de son enfance, avec une galerie de personnages et d’acteurs qui rappellent l’étrange émotion que procuraient les films suscités, mais se noie bien trop souvent dans le convenu et le film à sketches mal dégrossi.
Bruno Podalydès et son frère Denis aiment les anonymes, les situations étranges qui confinent au grotesque ou au merveilleux… et Versailles, ville fleurie. On retrouve pour ce dernier volet d’une trilogie sncfesque ‑Versailles Rive Gauche, Chantiers puis Rive Droite- la troupe d’acteurs (dont Denis Podalydès, Isabelle Candelier et Jean-Noël Brouté) et justement, mais seulement dans les premières images, le ton farfelu dont on s’était autrefois délecté. Lucie, comme chaque jour d’une vie visiblement bien réglée, se rend au bureau et découvre, stupéfaite, la pancarte « Homme seul » accrochée à une fenêtre de l’immeuble d’en face. S’ensuit alors une multiplication de conjectures pleines d’inquiétude, d’espoir, et une série de rencontres dans les boutiques de Versailles, et sur les fameux bancs publics de la ville. Versailles semble être une ville bien agréable à vivre, où se côtoient les vieux philosophes, les clochards (vraiment ?) et les employés modestes de bureau qui rêvent d’amour et d’eau fraîche. L’intérêt principal chez Podalydès est qu’il ne cherchait pas à sublimer artificiellement le quotidien : il insinue, là encore, tortueusement, des situations bancales, parfois délicates, parfois drôles. La situation de départ ‑l’incommunicabilité urbaine dérangée par un appel au secours romantique- laisse tout d’abord le champ libre aux divagations du réalisateur : les divers collègues de Lucie posent tous un regard différent sur la solitude déclarée du voisin inconnu. Les uns (surtout les unes d’ailleurs) espèrent trouver un écho à leur propre solitude, les autres (surtout les uns d’ailleurs) y voient une ruse de séducteur : « Il nous fait le coup de la solitude, c’est du cinéma, ça ! »…
Dans cette introduction à la légèreté rythmée, aux dialogues frôlant l’absurde (avec, en prime, un morceau de bravoure de Josiane Balasko) et pointant les petites idioties plus que la grande tendresse de l’être humain, on trouve notre compte. Dans cet amour du canevas, du détail placardé derrière une porte de placard, de l’expression faussement figée, on ressent la tendresse de Podalydès pour les héros modestes. Malheureusement, le bât blesse trop rapidement pour que ces Bancs publics nous retiennent tout à fait : non content de pouvoir étaler son carnet d’adresses ‑on est sans doute un peu mesquin pour le coup‑, Bruno Podalydès nous refait le coup du « Regardez, j’ai des amis acteurs dans toute la France, ils sont célèbres, et ils acceptent de jouer quelques minutes dans mon film » qu’avait initié l’odieux Musée haut, musée bas de Jean-Michel Ribes il y a quelques mois. Après la légèreté anonyme, on passe donc à une suite de séquences sans queue ni tête, dont la seule logique semble être la superposition des stars et des situations cocasses à finalité philosophique ‑de bas étage, pour continuer dans le registre de la mesquinerie. Catherine Deneuve aime donc le bricolage, Claude Rich et Michel Aumont discutent coloscopie et sagesse du grand âge… on pourra admirer ainsi à peu près tout le gratin d’un cinéma qui n’en finit plus de rêver une France où s’entremêlent les générations et les classes sociales sans heurts. Mais, c’est bien connu, la crème pâtissière alourdit la tarte aux pommes, et le défilé d’acteurs et d’actrices ne cache pas le vide profond des dernières scènes du film. Il suffirait donc aujourd’hui d’écrire un tiers de scénario et d’engager le plus d’acteurs connus possibles pour faire un film. Que tout le monde se rassure, on revient bien en fin de film à la jolie idée de l’homme seul… mais bien trop tard pour que l’idée ait dépassé le stade du coup de vent poétique, et bien trop tard pour que Bancs publics dépasse le stade de l’imbroglio un peu vain.