Quand on voit Batalla en el Cielo, on est finalement bien content que L’Enfant ait eu la Palme d’or, et non ce film qui manque tous ses objectifs : les scènes d’amour censées révéler la pureté des corps donnent la nausée, les acteurs non professionnels pour plus de naturel demeurent hermétiques, les plans-séquences destinés à rendre compte d’un espace immense et d’une population grouillante donnent envie de fuir.
Comment ne pas ressortir dubitatif du film de Reygadas ? Il faut en fait l’entendre s’exprimer sur son film, et tout s’éclaire ! Le réalisateur mexicain revendique en effet le fait d’avoir choisi des acteurs non professionnels, plus aptes selon lui à transmettre de manière naturelle les sentiments et les failles des personnages. « Les acteurs de Batalla en el Cielo n’ont pas lu le scénario et ne connaissent donc pas les intentions de leurs personnages. J’aime obtenir le jeu le plus naturel possible – ou plus précisément l’absence de jeu.» Tout est dit. À partir de là, comment s’intéresser aux acteurs et à la souffrance des personnages qu’ils incarnent ? Comment s’attacher à Marcos, qui a surtout l’air très bête et très mou, ou à Ana, arrogante et provocante ?
Marcos n’a vraiment pas de chance : lui et sa femme ont enlevé le bébé d’une amie pour obtenir de l’argent, mais le nourrisson vient de mourir, alors Marcos est désemparé. Tout au moins le devine-t-on, car cela ne se voit pas vraiment, tant son attitude, que ce soit dans sa vie professionnelle ou familiale, est d’un immobilisme constant. Qui plus est, la fille de son patron, dont il est amoureux, s’amuse avec lui plus qu’elle ne le respecte. Quand le drame vire au meurtre, il est difficile de ne pas rejeter le film. Le fait que cela soit choquant n’est le problème. C’est surtout un acte inutile et infondé. Reygadas filme d’ailleurs la scène avec un réalisme abrupt qui se double d’une grande complaisance, tout comme la scène d’amour entre Marcos et sa femme. Deux corps obèses et transpirants s’agitant, mais que Reygadas, qui estime les filmer avec respect, décrit ainsi : « Dans cette scène, les corps se fondent avec la lumière et la fragilité émouvante des personnages.» Nous n’avons peut-être pas vu le même film.
Le mélange de sacré et de profane qui baigne tout le film prend d’ailleurs sa forme peut-être la plus agaçante dans cette même scène. La caméra filme les corps des deux personnages, puis se déplace pour aller recadrer une image pieuse accrochée dans la chambre. La rédemption et l’expiation semblent être des thèmes chers au réalisateur, qui emmène à la fin du film son personnage en pèlerinage vers Notre-Dame de Guadalupe. Mais sa tentative de rédemption ne peut pas nous toucher.
C’est d’autant plus dommage que Reygadas est un cinéaste des sens et des sensations qui aurait pu être intéressant, et qu’il accorde beaucoup d’importance à la matière, la lumière, le temps et l’espace. Il essaie donc, à travers les longs plans-séquences et les panoramiques, de nous faire sentir cette matière qui vibre, que ce soit dans les corps, ou dans le fourmillement et le bourdonnement de la ville de Mexico. Mais là encore, on reste insensible devant toutes les images que nous présente Reygadas. Ces recherches formelles se retrouvent en effet noyées dans un flot de situations grotesques et de personnages à la dérive, qui sont perdus et que l’on n’arrive pas à atteindre. Gardons tout de même le plus réussi pour la fin : la musique, cette partition de trompette, déchirante et solennelle, sans doute capable de vous arracher des larmes en d’autres circonstances. En d’autres circonstances…