Ah, elle a bien grandi, la petite fille de E.T. ! Et quelle carrière ! Passé diverses turpitudes passablement parishiltono-britneyspearsesques, Drew Barrymore retrouve le chemin des studios. Après avoir fondé sa maison de production – qui officie dans le cas qui nous occupe –, l’ex-petite fille la plus célèbre du monde se pique de réaliser son premier film, sans pour autant abandonner le métier d’actrice. Hélas : à tout point de vue, c’est un retentissant ratage. C’est E.T. qui va être déçu.
Vous souvenez vous de Rollerball ? Soit vous vous souvenez du remake dirigé par un John McTiernan mou en 2002, soit vous êtes de la vieille école et vous avez connu James Caan, dirigé par Norman Jewison en 1975. Dans les deux cas, le fait marquant était qu’il s’agissait d’un film-procédé, autour de l’idée passablement cinégénique et hautement jouissive d’adapter – en gros – une version ultra-violente du football américain sur une piste de roller circulaire. Évidemment, une telle idée pouvait difficilement ne pas tenter quelques amateurs de sensations fortes bien concrètes – résultat : le Roller Derby, sorte de Rollerball un peu moins violent tout de même, pratiqué par des femmes avec une tendance affirmée aux tenues bariolées et près du corps. Il y a donc fort à parier que ces dames sur la piste, comme ces messieurs dans les gradins, y trouvent leur compte.
Ce qui paraît moins évident au premier abord, c’est le potentiel de réalisation personnelle que présente le sport. Et pourtant, c’est une belle success-story que celle de Shauna Cross, pratiquante du Roller Derby sous le joli nom de Maggie Mayhem – Maggie Chaos ou Maggie Foutoir, disons – et qui a vu le roman autobiographique où elle raconte son aventure devenir un best-seller outre-Atlantique. C’est donc la productrice, actrice et jeune réalisatrice Drew Barrymore qui réussit à emporter le morceau et à adapter le livre pour le grand écran.
Drew Barrymore, c’est par excellence l’héritière des années Disney – avant tout parce qu’elle incarne à jamais la fiancée de l’extraterrestre sans papiers E.T., dont le destin dans les mains de Steven Spielberg a épuisé de larmes des générations de spectateurs. Mais c’est également une petite fille des années 1980, la décennie qui définira le « spectacle familial » dans toute son horreur lénifiante – un cinéma de valeurs surannées, sans réelle connexion avec le réel, manichéen et inoffensif jusqu’à l’écœurement, et dont la teneur d’école « morale » persiste jusqu’à aujourd’hui.
Cela ne devrait aucunement influencer les choix artistiques de la jeune réalisatrice Drew Barrymore. Mais force est de constater qu’avec Bliss, on se trouve exactement devant un sous-produit de cette « école morale ». Ellen Page, qui manifestement n’arrive toujours pas à se sortir de son personnage de Juno, campe donc la jeune Bliss, pouliche élevée avec sévérité par sa mère pour exceller dans les concours de beauté locaux, ceux-ci assurant selon elle la voie royale vers un avenir meilleur. Mais Bliss est une adolescente, a donc besoin de se révolter, et va satisfaire à ce besoin en conduisant jusqu’à Austin et en entrant dans une équipe de Roller Derby, où elle va évidemment révéler des talents insoupçonnés.
La constance avec laquelle Bliss passe à côté de ses possibilités force l’admiration. Le film va t‑il s’intéresser à cet étrange rituel exutoire pour les femmes des trous paumés du Texas ; tisser un peu de chair sur les os de ces filles qui n’existent que par leurs noms – calembour (mention spéciale à Iron Maven) ? Non. Parler de ces mères célibataires, de ces ratées quarantenaires dépressives qui trouvent sur les pistes de roller un semblant de dignité ; de la sororité soudée qui accueille Bliss, de sa recherche de mères de substitution ? Non plus.
Drew Barrymore a mieux à faire. Il faut en passer par les étapes obligées du film de réalisation personnelle de l’adolescente : la découverte du mensonge, la jalousie de la meilleure amie, le premier amour qui se révèle être un menteur, la confrontation avec les parents… Tout ça pour aboutir, évidemment, à un joli consensus final qui va préserver la valeur centrale : la famille avant tout.
Étonnamment, Drew Barrymore choisit de jouer dans le film un personnage de junkie irresponsable, idiote et grossière – on peut dire qu’elle ne se donne pas le beau rôle. Elle s’adjoint les services de co-stars sur le retour – la Zoë Bell de Boulevard de la mort, qui s’amuse bien, et Juliette Lewis, très étonnante dans un rôle de méchante fée, et qui semble vouloir donner un peu d’épaisseur à son personnage, mais trop tard. L’image de productrice « indé » de Drew Barrymore (avec les comédies gentiment irrespectueuses Charlie’s Angels ou le superbe Donnie Darko) aurait véritablement laissé présager mieux pour son passage à la réalisation. Mais gardons-lui notre confiance – on ne sait jamais.