Dix-sept ans après La Leçon de piano, Jane Campion revient avec une nouvelle histoire d’amour brûlante et passionnante. Celle qui unit le poète britannique John Keats à la jeune Fanny Brawne, inconnue qui lui inspirera pourtant ses plus beaux poèmes. Optant pour une mise en scène sobre mais irradiée de lumière, la réalisatrice atteint des sommets dans sa façon de capter une nature-écrin des sentiments des jeunes gens.
Le cinéma de Jane Campion a toujours été porté par les portraits de femmes. Les histoires qu’elle filme sont toujours imaginées sous le prisme d’un regard féminin, et le plus souvent sous les traits d’une personnalité peu commune. Ainsi, John Keats n’intéresse pas Campion en tant que tel mais vu dans l’œil de son amante. Pour raconter l’histoire de Keats, la cinéaste n’avait que faire d’un biopic, elle voulait trouver un angle spécifique. C’est Keats sous le prisme de Fanny. Fanny Brawne, dont la famille vivait chez M. Brown, le meilleur ami de Keats. Jeune fille inconnue et méconnue, elle a pourtant inspiré au jeune poète anglais ses plus beaux poèmes, dont l’œuvre Bright Star. Son ultime poème s’intitule simplement To Fanny. Bright Star n’est en fait qu’une « simple histoire d’amour ». Mais mise en scène avec une finesse, une intelligence et une beauté toutes entières tournées vers la perception, la captation d’un peu de la force de ce grand amour romantique.
La mise en présence du couple avec les autres personnages est particulièrement signifiante et réussie. C’est Keats et Brawne seuls au monde, et en même temps, précisément, pas suffisamment seuls pour que l’issue de leur amour soit heureuse, mais dépendants de leur monde et de leur époque. Brawne / Brown, deux contraires, deux points capteurs de l’être de Keats, n’est pas le moteur de l’intrigue ni l’origine des sentiments qui vont naître entre les deux jeunes gens, mais l’un des points de focus qui vient faire s’entrechoquer l’immatérialité de l’amour du jeune couple et la réalité brute et sèche, loin de toute poésie. Ces relations-là jouent sur les oppositions pour mieux par la suite pousser au-delà des apparences. C’est d’abord la fille a priori superficielle, loin du monde de la littérature, portée sur la couture, loin de l’univers des poètes. C’est aussi l’opposition entre Keats et M. Brown, deux états différents de la masculinité, dans leur conception de l’amour et dans le regard qu’ils portent sur Fanny. Le dédain de Brown (« Elle ne sait que badiner et coudre, n’est-ce pas ? Il y en a des centaines dans tous les salons à la mode. ») accentue l’attirance de Keats pour Fanny, qui fait peu à peu preuve d’une sensibilité instinctive à la poésie. Keats, lui, est dépeint comme un être sans cesse ouvert sur le divin, une sorte d’ange qui aurait trouvé son double féminin. À côté de la relation entre les deux hommes et la jeune héroïne, la figure de la mère de Fanny vient aussi apporter du poids à la réalité des obstacles qui se dressent entre Keats et Fanny. La mère, interprétée par une très juste Kerry Fox, penche à la fois du côté de sa fille mais aussi du côté de l’époque. Une époque où un jeune poète fauché n’épouse pas une jeune fille qui attend de rencontrer un destin confortable. Assertion qui, au fond, rappelle l’actualité et l’universalité du film, loin de pouvoir être catalogué « film en costume ».
Bright Star est avant tout une grande fresque romantique et romanesque, contée à la façon d’une ballade poétique, d’un « poème narratif » ainsi que l’explique Jane Campion, « tombée amoureuse de leur histoire d’amour, une histoire à la Roméo et Juliette ». Le plus pur romantisme à son sommet, accompagné de tout le vocabulaire qui lui sied. Le jeu épistolaire entre Keats et Fanny (« Quand je reçois une lettre, je sais que notre monde est réel, c’est là que je veux vivre », lui écrit-elle), le cocon hors du monde réel (« Existe-t-il une autre vie que celle-ci ? Vais-je me réveiller et découvrir que tout ceci n’était qu’un rêve ? »), l’évocation de la passion-souffrance (« Nous ne pouvons pas avoir été crées pour supporter une telle souffrance », « je veux retrouver ma joie de vivre »…), la privation d’oxygène créée par l’absence de l’un ou de l’autre, l’adoration mise en exergue par une lumière qui irradie tout le film. On peut émettre un léger bémol à propos de la scène où Keats tombe malade, dans laquelle les symboles, comme la musique, sont un peu trop appuyés, bémol que le jeu des acteurs (la très belle Abbie Cornish en tête) vient amplement rattraper.
Pour capter le caractère éphémère de cet amour naissant, « le capturer pour ne plus jamais le laisser s’enfuir », Jane Campion et son directeur de la photographie Greig Fraser utilisent une mise en scène sobre et une lumière sensible. D’approche classique, Bright Star se compose de plans et de cadrages simples, fait appel à une caméra assez peu mobile et à des prises de vues pas trop élaborées pour laisser la place au déploiement des sentiments des personnages. La mise en lumière, elle, révèle et souligne la tendresse dans laquelle baigne l’atmosphère du film. Elle est si finement captée qu’elle fait presque appel aux cinq sens du spectateur. C’est beau, vivant, charnel, quand bien même la relation entre le poète et la jeune femme n’est jamais charnelle, si ce n’est quelques baisers et chastes caresses. L’image chaude s’arrête sur les grains de peau, la finesse des mains, déverse une sensualité (jusque dans la caresse de Keats au chat) propre à pénétrer l’intimité des personnages. Jane Campion réalise de véritables tableaux vivants, une peinture pleine de matière dans laquelle la nature est reine, et qu’elle parvient à nous faire ressentir.
Le rythme des saisons accompagne les jeux des amoureux, la palette de couleurs se déploie finement aussi bien dans les scènes d’intérieur que d’extérieur, le vert moelleux de l’herbe vient répondre à la neige immaculée qui recouvre régulièrement les arbres, le blanc lumineux du printemps fait écho à la robe de Fanny. La nature est filmée comme l’écrin des sentiments de Keats et Fanny, où les éléments s’allient pour mieux les porter. Le vent y tient une place particulière, comme dans cette scène du rideau se soulevant délicatement sur Fanny, dans un souffle quasi érotique.
Avec Bright Star, la cinéaste néo-zélandaise voulait traduire en image le monde de Keats et de Fanny, un monde empreint de lumière à ses yeux. « L’ambition du film est de sensibiliser le public à cette lumière, d’allumer la flamme. » Elle y parvient avec brio.