Buenos Aires 1977 est l’adaptation du récit authentique d’un jeune Argentin sans histoires victime de la dictature militaire de l’époque : enlevé par les services spéciaux, accusé à tort de subversion, séquestré et torturé pendant quatre mois, il finit par s’évader avec trois codétenus. Le réalisateur se livre moins à une reconstitution historique qu’à un exercice de mise en scène — sous références — de la pression exercée sur les prisonniers et de leur quête de liberté.
Si le titre français évoque bien fadement une rencontre avec l’histoire, le titre original, « Chronique d’une évasion », résume mieux les ambitions du film, lesquelles ont moins à voir avec la reconstitution d’une époque ou la dénonciation d’un régime qu’avec la mise en scène d’un emprisonnement et d’une fuite suivant les conventions d’un genre déjà bien exploré. Les pistes de réflexion historique et politique ouvertes par le film sont d’ailleurs assez floues, flirtant même avec le douteux. Jouant plutôt efficacement sur un suspense basique de whodunit propre à refléter le climat paranoïaque cultivé par la dictature (qui des prisonniers est un guerillero ? qui est un traître ?), Caetano, ce faisant, ne passe pas loin d’imputer aux opposants au régime les souffrances que celui-ci inflige aux citoyens passifs…
« Un peu de tout »
Ces réserves sur le fond restent tout de même marginales, tant le cinéaste porte son intérêt sur la mise en scène de la tension, de la violence et des espoirs qui affleurent dans cette maison bourgeoise devenue une sinistre prison. Les faits historiques restent ici un décor pour un film de prison dont la principale originalité reste l’atmosphère de suspicion instillée par la traque des activistes, réels ou inventés, par les autorités. Or si Caetano ne manque pas d’idées sur le papier (entre autres l’esquisse d’un travail sur le huis clos par le cadrage et l’emploi des focales, dans un environnement terne et rugueux), la manière dont il se rabat régulièrement sur des conventions de mise en scène empruntées à des genres voisins de son film laisse pour le moins perplexe. On trouve tellement de clichés formels que le long-métrage, devenu presque un festival sans s’en rendre compte, menace souvent de basculer dans le n’importe quoi pas vraiment assumé. Il y a un peu de tout : du film d’horreur (cadrages obliques de la maison de séquestration pour en faire une entité inquiétante), du polar à l’américaine (les interventions des services spéciaux évoquant irrésistiblement Starsky et Hutch), du film d’évasion à l’ancienne (petits roulements de tambours pendant que les prisonniers ourdissent leurs plans), etc.
S’il fallait voir un bon côté dans cette profusion de figures connues distribuées d’une main lourde, c’est la preuve que Caetano ne manque pas complètement d’idées, telle la mise en valeur de la demeure-prison comme un personnage à part. Dommage que tout en prétendant accomplir sérieusement sa tâche, il mène son récit avec un manque de subtilité qui confine parfois à la négligence coupable, à l’image des dérisoires instants de suspense qu’il ménage (comme lorsqu’un prisonnier demande des fourchettes pour manger…).
C’est avec perplexité qu’on se souvient de L’Ours rouge, polar social réalisé par le même Caetano en 2002. Marchant lui aussi sur un terrain balisé au possible, il faisait pourtant mine d’anticiper les clichés du genre, les expédiant sans cérémonie pour acquérir une sobriété bienvenue. En se dispensant du même recul, Buenos Aires 1977, sans être vraiment désagréable, se limite de lui-même aux frontières de l’anecdotique, à une expérience peu enthousiasmante de rencontre entre regard sur l’histoire et conventions du cinéma de genre.