Hasard du calendrier, deux films autour de deux grands photographes sortent sur les écrans à quelques semaines d’intervalle. Après le ratage de la « biographie romancée » sur Diane Arbus par Steven Shainberg (Fur) arrive donc aujourd’hui un étrange documentaire consacré à William Eggleston, unanimement célébré dans le monde entier non seulement pour la qualité de ses œuvres, mais également pour avoir à lui seul incarné la légitimation de la photographie couleur en tant que médium artistique, à une époque – les années 1960 – où le noir et blanc faisait office de code obligatoire pour quiconque souhaitait exposer dans des musées ou des galeries.
La démarche de Vincent Gérard et Cédric Laty, dont By the Ways est le premier long métrage distribué en salles, s’apparente plus au concept artistique (les deux hommes sont diplômés d’écoles d’art) qu’au travail documentaire. Les cinéastes ne sont pas du tout intéressés par une quelconque approche pédagogique de leur sujet : en réalité, By the Ways est une œuvre hybride, à mi-chemin entre la fiction et le reportage, dans laquelle le photographe et son art imprègnent radicalement la pellicule. Et cette absence quasi totale de révélations des secrets techniques de l’artiste donne au film une saveur particulière : est-ce Eggleston qui reste insaisissable, même (surtout ?) lorsqu’il est au centre du cadre, ou est-ce que les deux metteurs en scène ne l’utilisent que comme un prétexte pour faire un tout autre film ?
Un peu des deux, probablement. Tout au long de By the Ways, Eggleston est au cœur du récit : son entourage (femme, enfants, collaborateurs, amis) loue le génie de cet artiste hors normes qui semble ne photographier que ce que le commun des mortels ne voit pas. La sublimation des petites choses du quotidien, sur lesquelles Eggleston porte un regard mi-tendre mi-amusé et qu’il magnifie par son sens extraordinaire de la couleur et de la lumière, font de lui le portraitiste inégalable d’une Amérique riche en symboles et paradoxalement jamais vue ailleurs. Quand Eggleston est filmé, en revanche, les deux cinéastes nous donnent à voir une caricature d’artiste, sorte d’autiste tourmenté qui ne se sépare jamais de son appareil photo et marmonne des bouts de phrases incompréhensibles en guise de réponses aux questions qu’on lui pose (voir l’interview hilarante et cauchemardesque que tente de mener un pauvre journaliste allemand, relativement peu inspiré). Cette partie-là du film, la plus ludique et accessible aux amateurs des documentaires d’Arte, est aussi la plus conventionnelle… et la plus courte.
Car Vincent Gérard et Cédric Laty ont d’autres ambitions : l’accumulation de plans savamment composés pour évoquer l’univers d’Eggleston en atteste. C’est visiblement ce film-là qui les intéresse le plus, une sorte d’exploration sensorielle des choix esthétiques du photographe en 12 chapitres ; les proches de l’artiste sont curieusement crédités au générique comme des personnages, soit autant de figures fantomatiques censées éclairer ou au contraire, brouiller les pistes sur les obsessions d’Eggleston. C’est également la limite du film, qui se perd alors dans des divagations fumeuses qui s’apparentent plus à une pose branchouille qu’à une véritable démarche artistique (le film est produit par Agnès b., farouche défenseuse du cinéma-qui-se-la-pète : Vincent Gallo, Harmony Korine…).
Que veulent nous dire Vincent Gérard et Cédric Laty sur William Eggleston ? Que l’âme du photographe reste insondable et que les multiples commentaires accumulés par son entourage ne nous éclairent en rien ? Que le secret de l’artiste réside dans son sud américain natal, d’où les innombrables plans contemplatifs qui tentent tant bien que mal de reproduire le style Eggleston ? Les cinéastes s’éparpillent et ne parviennent jamais à atteindre leur objectif : dresser le portrait d’un « maestro » en espérant très fort que l’étude de son environnement révélera quelques-uns de ses secrets. Perdu : malgré quelques fulgurances, By the Ways se perd souvent en verbiages soit abscons, soit réellement futiles. Restent quelques jolis moments, dont celui-ci, pour lequel le film entier valait la peine d’être conçu : au réalisateur qui l’interroge, William Eggleston confesse : « Il m’arrive de prendre une photo et de me dire, à la seconde où je la prends, que je l’ai déjà faite, cette photo, même si je ne suis jamais venu à cet endroit. Mais ce sentiment ne dure pas ; alors, je continue. »