D’abord documentariste (avec un excellent Récréations notamment, 1992), Claire Simon s’essaye au film de fiction avec des courts métrages et deux longs (le truculent Sinon oui, 1997, et Ça, c’est vraiment toi, 1999) sans pourtant laisser de côté le documentaire. Avec Ça brûle, remarqué à la Quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes, Claire Simon prouve combien sa délicatesse et son sens de l’image ont raison d’une histoire tirée d’une rumeur.
Brodant autour d’une rumeur (lors de cet été 2003, été caniculaire et particulièrement propice aux délires d’incendiaires, une jeune fille amoureuse aurait mis plusieurs fois le feu à la garrigue), la réalisatrice a construit un scénario implacable sur les premiers émois et les premières pulsions sexuelles de Livia, quinze ans (ardemment campée par Camille Varenne dont c’est le premier film). Ça brûle se situe entre une œuvre douce, celle de Jacques Doillon et une autre plus insidieuse, celle de Catherine Breillat. Mais Ça brûle fait aussi penser aux 400 Coups de François Truffaut. La colère adolescente est un refuge dramatique. Et tout est fougue dans ce portrait sans concession d’une adolescente perdue. Fougue car la première partie du film insiste sur la hardiesse, l’invulnérabilité de Livia, cavalière émérite qui ne quitte jamais son cheval. La chevelure de l’adolescente s’emmêle amoureusement dans la crinière de l’animal et partout où elle passe, Livia bouleverse les habitudes en prenant le monde de très haut. Filmée toujours en contre-plongée, elle domine les autres, violemment. Ses pulsions sont ainsi domptées en permanence par l’animal et lorsque l’adolescente fait ruer la bête, l’accalmie est de courte durée.
La femme en feu est donc opposée aux hommes, à voiture, à vélo, en mobylette, mécanique contrôlée. Il faudra l’intervention du père (trop rare Jean-Quentin Chatelain) qui lui enlève de force son cheval pour que Livia quitte sa monture et marche et coure pour retrouver intact l’objet de son désir. Car l’adolescente qui sort à peine de l’enfance, et, lors d’une première scène délicatement sensuelle, s’éveille aux désirs grâce à l’intervention toute médicale d’un sapeur-pompier, Jean (très juste Gilbert Melki), qui tâte, palpe, touche Livia pour vérifier si la chute qu’elle vient de faire avec son cheval n’a pas provoqué de plus graves blessures. Celui-ci va devenir la victime, au sens le plus fort du terme, de celle qu’il vient de sauver. Livia, en perte de repères, se rue sur Jean, nullement pour épancher sa soif mais bien pour l’attiser.
Claire Simon reste ainsi le plus souvent avec son héroïne, ne la quittant guère et la filmant au plus près, c’est-à-dire juste derrière elle, la frôlant presque, la gênant parfois dans certains de ses mouvements (scène étonnante lorsque Livia s’habille au début du film). Cette montée en puissance du désir et de son incompréhension ne peut donc que trouver un juste accomplissement dans l’incendie final. L’adolescente est en feu (elle a d’ailleurs les cheveux roux et porte un haut rouge, en écho aussi au camion des pompiers). Et cette métaphore reste bellement visuelle grâce à des plans, très documentaires, de départs de feux, mis en parallèle avec des plans sur le regard avide de Livia. Les flammes, la fumée, les arbres qui craquent, les animaux qui s’enfuient, jamais incendie n’a eu une aussi bouleversante image au cinéma. Dans la dernière partie du film, Claire Simon réussit le tour de force de nous faire croire à tout, et à cet unique incendie qui est en fait une combinaison de plusieurs incendies qu’elle a filmés.
Enfin l’amour adolescent – et cela reste aussi une des scènes clé du film – n’a fondamentalement rien à voir avec l’amour adulte. La découverte de la bouche, du sexe, met davantage en jeu une destruction probable qu’une construction et un avenir à projeter. L’acte de Livia est présent tandis que les gestes de Jean sont portés vers le lendemain (sauver une vie, procréer, refaire le toit de sa maison, donner son emploi du temps à sa femme). La conséquence d’un mot, d’un mouvement, n’entre pas en ligne de compte chez Livia. Et voilà où Claire Simon touche au plus juste ; en cadrant aussi près l’adolescente, elle rétrécit tellement son champ de vision que le second plan est toujours flou. Et que la caméra joue des métaphores en léchant Livia, la caressant, la frôlant lors que la jeune fille aimerait tant être possédée. « Nous ne vivons pas sous le même toit mais sous le même ciel », ainsi décrit-elle ce qu’elle ressent à Jean, Jean qui ne comprend pas et court bêtement rejoindre les étoiles.