« Qu’est-ce qui est réel ?» se demande Elisha Cuthbert, campant médiocrement une top-model séquestrée et torturée par un affreux colosse encapuchonné. La question est bien pertinente, tant on peine à croire que le sous-sous-produit où on retrouve l’actrice ait pu être pensé par des producteurs de cinéma et destiné à autre chose que le direct-to-video. Pourtant basé sur un script du vieux briscard de la série B Larry Cohen (Le monstre est vivant, Phone Game), Captivity, navrante pochade entre thriller et horreur, se source plus ou moins consciemment chez les affreux cousins germains que sont les Hostel, les Saw et les productions pour chaînes pay-per-view. Ces parentés monstrueuses se télescopent, se recoupent et s’accouplent en un tout pathétiquement cohérent, entre décorum horrifique risible mais sûr de soi, coups de théâtre prévisibles avec une demi-heure d’avance et moralisme à deux francs sur la vanité du culte de la beauté — caution morale démagogique, comme souvent, pour le racolage le plus atterrant.
« Vanité »
Certes, l’inexpérience de Roland Joffé dans le genre (de retour sur les tournages après un hiatus de sept ans consécutif à l’échec public de Vatel), et plus encore les multiples retouches gore effectuées après lui par l’inepte coproducteur Courtney Solomon (Donjons et Dragons, American Haunting) pour surfer sur la vague des récents « films de torture » susnommés, sont pour une bonne part dans l’ampleur du désastre. Tout de même, pour le réalisateur de La Déchirure, on ne peut s’empêcher de penser à un épisode plutôt logique de la vaine quête de renouveau d’un cinéma en perte de vitesse. Goodbye Lover, comédie noire à tiroirs réalisée en 1998, montrait déjà à quel niveau de complaisance balourde Joffé peut plonger dès qu’il s’agit de jouer de l’humour, de mettre en scène des personnages troubles, de développer une vision du monde. Autrement dit de faire autre chose que le travail décoratif sur lequel il a bâti sa renommée : se reposer sur la luxuriance des décors et des costumes, l’ampleur et le potentiel dramatique des sujets, ou la noblesse des sentiments. Cette confrontation à un nouveau genre, et les soubresauts de maniérisme sans enjeu auxquels il s’y essayait traduisaient autant une volonté de ruer — puérilement — dans les brancards qu’une prise de conscience que le cinéma à l’académisme soigné qui l’avait fait connaître était en train de mal vieillir.
C’est avec ce goût pour la pose esthétique de papier glacé rehaussée de quelques effets gadgets que Joffé tente de donner un ton et une patte à son ouvrage, mais ne réussit a contrario qu’à en souligner la médiocrité absolue (la scène de l’enlèvement filmé de Cuthbert fera hausser plus d’un sourcil). Au fond, pourquoi chercher à dissocier la facture de l’Anglais — déplorable thriller aux rouages usés par les passages télévisés, jusque dans leurs invraisemblances — de celle du mauvais génie Solomon — risible programme de sévices infligés à la blonde héroïne, contrainte à boire des organes passés au mixeur avant d’abattre son caniche adoré pour sauver sa peau ? Ce serait tenter le distinguo entre une campagne de séduction par un glamour du pauvre et une entreprise de racolage à la frontalité agressive. La rencontre entre ces deux démarches pas immédiatement conciliables a au moins le mérite de mettre sous un jour aveuglant la vanité de l’une et de l’autre. On en vient à se demander si la seule idée un tant soit peu inspirée qui se dégage du film n’est pas imputable au pur hasard : la captive communique avec un codétenu à travers une baie vitrée enduite de peinture sombre dont elle a gratté une surface ; son vis-à-vis porteur d’espoir apparaît ainsi dans un cadre aux bords flous, comme isolé dans une dimension parallèle et onirique. Belle trouvaille visuelle, malheureusement vite sacrifiée par un metteur en scène plus soumis aux impératifs d’un triste programme imposé qu’à sa propre — hypothétique — sensibilité artistique.
« Génération Puttnam »
Cette piteuse voie de garage où s’est acculé ce cinéaste, c’est un peu une nouvelle forme d’impasse dans les parcours de carrière de ceux qu’on pourrait appeler la « génération Puttnam ». David Puttnam, c’est ce producteur anglais qui, dans les années 1970 – 80, propulsa dans le paysage cinématographique mondial de jeunes réalisateurs britanniques issus de la télévision, de la publicité ou du théâtre. Ridley Scott, Alan Parker, Adrian Lyne, Hugh Hudson, Joffé donc : autant de cinéastes remarqués tant que leur sens esthétique assez affirmé que pour leur aptitude à se glisser dans des « gros » sujets porteurs de discours plus ou moins consensuel auquel donner une forme séduisante. Le bilan du lancement de cette vaguelette de réalisateurs, à l’époque tous accueillis à bras ouverts par un Hollywood en quête de sang neuf, est aujourd’hui bien mince. À l’exception d’un Scott assez malin et flexible pour acquérir, de longue lutte, une place confortable dans le système hollywoodien, peu d’entre eux ont échappé à une certaine marginalisation de leur cinéma souvent trop attaché à une certaine « mode » esthétique pour résister au temps.
Quant à Joffé, qui tourne actuellement une comédie dramatique impliquant le tandem de chanteuses vraies-fausses lesbiennes t.A.T.u., gageons qu’il aura du mal à relever la tête de l’asphalte avec le présent déchet filmique collé sous sa semelle.