Il y a quelque chose de résolument attachant dans le cinéma de Cédric Klapisch, réalisateur-doudou par excellence : tout y est familier, confortable et moelleux, comme une couette en plumes qui trône sur un matelas épais. Ce cinéma-là, hyper identifiable et rassurant, est la marque de fabrique du cinéaste depuis Le Péril jeune et Chacun cherche son chat, et surtout depuis le succès phénoménal de la trilogie de L’Auberge espagnole : un cinéma où l’on retrouve immédiatement ses repères, ouvert sur le monde et sur les autres, curieux de tout et volontairement foutraque… mais, hélas, assez limité dans ses ambitions esthétiques et narratives. C’est à la fois tout le charme et toute la limite de la filmographie de Cédric Klapisch, et Ce qui nous lie ne déroge pas à la règle. Dès les premières minutes, qui voient le personnage interprété par Pio Marmaï revenir d’un tour du monde, sac au dos, pour retrouver frère et sœur au chevet d’un père mourant, le système Klapisch se met en place : voix-off qui nous prend par la main et nous guide dans les interrogations existentielles du héros, bande son en mode playlist et personnages jeunes, beaux et ultra-contemporains, cette fois-ci confrontés à des questions que Xavier (le personnage interprété par Romain Duris dans L’Auberge espagnole et ses suites) ne s’était pas posées : quand on a parcouru le monde et que l’on s’est créé une autre famille aux quatre coins du globe, que fait-on des liens du sang et de l’héritage (patrimonial, culturel, familial) que nos parents nous ont laissé ?
En route mauvaise troupe
Comme dans la plupart de ses films, Klapisch va prendre beaucoup de temps pour y répondre, construisant son film autour d’autant de digressions que nécessaires, articulées cette fois autour du passage des saisons. L’histoire de Jean, Juliette (Ana Girardot) et Jérémie (François Civil) est celle d’une fratrie qui, en plus d’un patrimoine génétique particulièrement généreux, hérite d’un domaine viticole (maison, vignoble, employés, la totale) et doit décider de son avenir. Faut-il poursuivre l’exploitation et créer un autre vin, à la fois moderne et respectueux de l’identité paternelle, comme le souhaite Juliette ? Faut-il s’allier à d’autres exploitants plus solides, comme l’aimerait Jérémie, dont le beau-père écrasant a un sens aigu des affaires ? Ou faut-il vendre et passer à autre chose, comme l’envisage Jean, endetté jusqu’au cou et empêtré dans des déboires sentimentaux avec une femme et un enfant qu’il a laissés en Australie ? Klapisch aime profondément ses personnages. C’est le point fort du film, comme d’ailleurs de ses précédents. Le soin méticuleux qui leur est accordé permet de donner naissance à des caractères qui, au départ plutôt stéréotypés, s’affinent et se complexifient, offrant la possibilité aux comédiens qui les interprètent de révéler l’étendue de leur talent : ici, c’est surtout Ana Girardot qui tire son épingle du jeu, ultra crédible et émouvante dans un rôle aux antipodes des beautés vénéneuses dans lesquels elle a souvent été cantonnée.
Du cinéma sériel
Le film, malheureusement, peine à se hisser au même niveau d’ambition que les personnages qui le peuplent. Principalement parce que Ce qui nous lie ressemble à une copie carbone de L’Auberge espagnole et ses suites, transposée au milieu des vignobles de Bourgogne. Klapisch tente de trouver un équilibre entre le drame familial, la chronique sociale, la comédie de mœurs et le mélo sentimental, mais l’ensemble ressemble plus à un pot-pourri de bonnes intentions qu’un seul et même film – on pense souvent à une saison entière de série condensée en moins de deux heures. Ce qui fonctionnait dans la « trilogie internationale » (les pérégrinations amoureuses et existentielles d’un post-ado mal dégrossi et sa bande d’amis/amantes/ex, devenant adultes un peu malgré eux) avait moins à voir avec le cinéma qu’avec un genre feuilletonnant dans lequel Klapisch excellerait, à n’en pas douter (il s’y est essayé en produisant la formidable première saison de Dix pour cent). Tel quel, Ce qui nous lie semble curieusement rafistolé, éparpillé et, par la force des choses, un peu vain, aussi limité dans ses enjeux formels que narratifs (on voit très bien comment tout cela va se terminer, l’intérêt réside plus dans le chemin emprunté par les personnages pour y parvenir, ce que le film peine à rendre palpable et passionnant sur une durée aussi courte). Ça et là, quelques scènes se détachent, des moments rendus réellement touchants par la grâce de la générosité du regard que pose le réalisateur sur ses personnages, mais cela reste bien insuffisant pour élever Ce qui nous lie au-delà de ses promesses.