Jean-Christophe Sandt réalise, écrit et produit là son premier film : un mélodrame sur la perte de l’être aimé et la reconstruction sentimentale. L’ingénieur à la ville s’est appuyé sur les moyens d’une école de cinéma de la région lyonnaise, l’Arfis, pour monter l’équipe technique, et sur les conseils de l’association L’Accroche Scénaristes pour préparer le scénario. Cette économie resserrée est palpable à l’écran : lumière criarde, décors simples dans des appartements étroits, et surtout, écriture négligée. Ajouté à l’absence de regard sur le couple, le résultat ressemble à un mauvais soap opera.
À gros sabots
Mathilde et Vincent, jeunes mariés, forment un couple heureux qui se prête encore au jeu de la séduction. Le film s’ouvre par un parcours à énigmes dans les rues de Lyon construit par Vincent pour surprendre sa femme. Une fois réuni, le duo s’offre une partie de campagne entre balade en barque, pique-nique et promenade à vélo. Après cette journée de bonheur entre amoureux, Mathilde décède subitement dans son sommeil, victime d’une rupture d’anévrisme. Vue en montage parallèle, la vie de couple de Laurence tombe au contraire irrémédiablement dans la routine, qui l’entraîne vers une petite mort. Une nuit, elle décide de claquer la porte pour ne plus jamais revenir. Suit un pénible travail d’introspection de ces deux âmes à la dérive : le veuf et la fugueuse confient leurs doutes existentiels à leurs amis respectifs. Et si Vincent trouve un échappatoire dans les histoires d’un soir, Laurence ne parvient pas à séduire d’autres hommes.
De là point le premier défaut du film : des stéréotypes de genre sont convoqués par l’auteur dans la manière de filmer la traversée du deuil de l’amour perdu. Bien qu’en proie à la culpabilité, l’homme affronte la perte en Dom Juan à la force de séduction intacte ; la femme, peinte en vieille fille aux yeux cernés, se retranche dans la logorrhée pour dissiper ses doutes. L’heureux prélude annonçait déjà un angle caricatural par la superposition de notes de guitare sirupeuses et de fondus enchaînés. Après le drame, une scène d’égale mièvrerie dépeint la tristesse de Vincent, dans laquelle une Mathilde ressuscitée pianiste apparaît sous les pleurs de son ancien époux. Et pour surligner davantage le trait, il pleut.
Une récitation d’automates
L’inanité de ce film atteint son apogée dans les dialogues, insipides de bout en bout. On navigue entre poncifs absolus ânonnés à plusieurs reprises — « prends soin de toi », déclarations sentencieuses et fautes de tons. Les personnages se répondent comme des traducteurs automatiques d’ordinateur avant d’adopter soudainement un verbe de charretiers — entendre le fameux « touche-moi les couilles et dis je le jure !» balancé par Vincent à Mathilde dans le lit conjugal. On sent pourtant chez l’auteur une velléité de faire circuler la parole sur une note rohmérienne : une description des sentiments amoureux exprimée sans retenue. Mais le film souffre cruellement de la comparaison avec son modèle, trahit par la vacuité des conversations qui traversent des scènes de confidence factices sur le thème du carpe diem.
Pis, les intimes ne recueillent pas la détresse des endeuillés avec bienveillance. Ils donnent plutôt l’impression d’être absents à leur douleur, comme décontenancés par la fausseté du verbe. À deux reprises lorsque Vincent s’épanche sur ses sentiments, son interlocuteur lui assène un « je ne comprends pas cette question ». Laurence se coltine la leçon de la nécessaire fidélité au mariage sur le thème du « et pour le pire ». Cet hermétisme, trop peu exploité pour être intentionnel, sonne comme un symptôme de l’impuissance de l’auteur à nouer un véritable enjeu entre les personnages. La meilleure nouvelle de ce film raté est peut-être ici : involontairement, le scénario porte en lui les germes de l’auto-dérision devant l’ineptie de ses dialogues.