Le cinéma est une affaire de famille : Isild Le Besco filme son petit frère avec l’aide de son grand frère à la caméra. Charly est l’histoire d’un adolescent incroyablement mou vivant chez un couple de personnes âgées et décidant sur un coup de tête de se rendre à Belle-Île. Pas débrouillard pour un sou, il est recueilli par une étrange jeune fille (Julie-Marie Parmentier, absolument extraordinaire) vivant dans une caravane glauque perdue au milieu d’on ne sait où. Se refusant à éclairer les parts d’ombre de son récit, Isild Le Besco préfère s’attacher avec brio au rendu des corps et de la matière dans un film étonnamment en prise avec ce qu’il filme.
Si un acteur peut être considéré comme quelqu’un qui se fond dans un personnage afin de lui prêter vie, en cherchant à s’oublier pour mieux incarner le rôle qui est le sien, alors nul besoin de vouloir mettre en parallèle le deuxième film d’Isild Le Besco et son jeu d’actrice. Pourtant, cette silhouette qui depuis quelques années apparaît régulièrement sur nos écrans est à ce point unique, que l’on éprouve le plus grand mal à dissocier l’actrice et la réalisatrice/scénariste tant, au vu de Charly, tout semble ne faire qu’un. La beauté si particulière d’Isild Le Besco impressionne la pellicule avec une force telle que la simple apparition de son visage sur un écran intimide au plus haut point. Car le corps d’Isild Le Besco s’impose avant tout comme présence. Cette simple présence, cette apparition, enclenche le processus dramatique, avant même que les ressors psychologiques soient ancrés. Dans Sade, Benoît Jacquot n’a besoin que d’un seul et unique plan dans une calèche pour faire comprendre que le simple visage de cette femme vient de frapper au plus haut point le divin marquis. Dans La Maison du canal, téléfilm d’Alain Berliner adapté d’un roman de Simenon, Isild Le Besco interprète une jeune Parisienne qui, suite au décès de son père, est recueillie par de la famille vivant au nord de la France. Mais les causes du drame ne viendront pas ici de la rencontre entre un mode de vie citadin et rural. La tension ne naîtra pas de la confrontation de deux univers, mais tout simplement du trouble provenant du magnétisme sexuel de cette jeune fille sur les hommes de la maison. Sa simple présence faite de chair attire vers elle les hommes et semble comme les priver de leur conscience.
Isild Le Besco actrice est donc une matière. L’aspect psychologique est dans un premier temps relégué au second plan. Dans Charly, le scénario, bien qu’extrêmement simple et se concentrant sur deux personnages, ne cherchera jamais à élucider certaines zones d’ombre. Quel est l’histoire de ce jeune adolescent ? Que sont devenus ces parents ? Qui est cette fille ? Et, même si on peut s’en douter, que fait-elle exactement avec cet homme qui tous les jours vient la chercher en moto ? Le film se refuse allègrement à répondre à toutes ces questions. Le but du jeu est ailleurs. Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est de se confronter aux corps, à la chair, à la matière : arriver à rendre le poids des corps et leur fragilité, voilà peut-être où se trouve la plus grande réussite du film. Dès le début, Le Besco montre avec simplicité et force le corps usé, malade et donc source de souffrance de la dame âgée chez qui le jeune adolescent vit. Nicolas (le propre frère d’Isild Le Besco), de son côté, est et restera une énigme. Il est avant tout une présence qui se traîne, une coupe de cheveux, des lèvres charnues qui ont l’air de tomber par terre, et qui ne s’ouvrent que rarement pour laisser sortir quelques mots si peu articulés qu’ils sont difficilement compréhensibles. Regardant tout le temps ses chaussures, le langage, qu’il soit parlé ou écrit, semble loin de lui ; d’ailleurs, un professeur lui reproche de faire plusieurs fautes par mot. Comme si le langage était quelque-chose de secondaire, et qu’il s’agissait pour la cinéaste de capter cet avant de la naissance au monde par la parole et l‘écrit.
Dans Demi-Tarif, son précédent film, Le Besco filmait trois jeunes enfants livrés à eux-mêmes. Dans plusieurs scènes, elle les filmait nus, et parfois en train d’uriner. Dans ce film, Charly rentre d’on ne sait où et voit Nicolas allongé sur le dos, en train de dormir. Nue au dessous de la ceinture, elle s’approche du jeune garçon et s’assoit sur lui, lui collant son sexe sur le visage. Cette façon de mettre en scène des moments assez crus manifeste de la part de la cinéaste la volonté de se confronter à une certaine forme d’animalité. Cet instinct et ce sentiment de la chair font naître un rapport à l’autre premier : les êtres se reniflent, s’attirent ou pas. Isild Le Besco cherche à saisir cette insaisissable nature tapie au fond de nous.
Isild Le Besco cerne ce que finalement peu de réalisateurs arrivent à rendre compte de façon forte : les corps, mais aussi le climat et le paysage d’une certaine partie de la France. La réussite du film se trouve dans la capacité qu’a eue la cinéaste à capter et à rendre palpables différentes atmosphères. En n’hésitant pas à porter à l’écran des scènes longues, et en prenant le temps de faire peser de tout leur poids certains décors, paysages et climats, le regard d’Isild le Besco s’avère être avant tout sensible, pourrait-on dire, à la chair du monde qui l’entoure, et ce sans aucun désir de rendre compte sociologiquement parlant d’un certain état de la France. En optant pour l’utilisation d’une caméra DV nerveuse sans être non plus trop agitée, ce film se fond, s’oublie et s’abandonne à ce qu’il filme.