Cherry Blossoms ou le rêve japonais d’un deuil. L’Allemande Doris Dörrie se frotte à un sujet peu glamour bien que contemporain : la fin de vie d’un couple de seniors. Mais la réalisatrice se pique à l’épaisseur du propos. Littéralement scindée en deux parties, la fiction s’affranchit d’une narration traditionnelle pour proposer dans un élan d’audace une variation cinématographique entre poésie et fadaise.
Doris Dörrie est une artiste complète : à la fois cinéaste (Les Hommes, Lui et Moi), documentariste (How to Cook Your Life), écrivain, et metteur en scène d’opéra (Turandot, Madame Butterfly), elle est la seule femme en Allemagne à avoir assis sa popularité en réalisant plusieurs films à succès. De sa plume acérée, elle signe avec Cherry Blossoms un long-métrage personnel inspiré des épreuves de sa propre vie. Ainsi, l’intime, dévoilé avec pudeur ou bravoure, est une notion abordée dans le récit mais aussi par le biais d’une image, brute, proche du film de famille.
Et Cherry Blossoms est une histoire de famille. Lorsque Trudi apprend que son mari Rudi n’a plus que quelques mois à vivre, elle tente de l’inciter à profiter différemment du quotidien, plutôt que de lui annoncer la mauvaise nouvelle. Trudi et Rudi forment un couple complémentaire et pour cause : dans ce premier acte, Trudi est une femme douce qui cache sa fantaisie derrière une image de bonne épouse, et est ainsi définie comme la protagoniste, tandis que Rudi, de nature antipathique et rigide, freine ses élans frivoles, et devient donc son antagoniste. Malgré tout, la paire s’embarque dans un voyage à la capitale durant lequel ils rendent visite à deux de leurs enfants et se heurtent au traditionnel conflit générationnel.
Mais Cherry Blossoms est l’arbre qui cache la forêt. Une surprise scénaristique renverse le cours de l’histoire et coopte un protagoniste relais qui nous amène en terres japonaises. Ce chambardement intéressant propose une relecture de Trudi à travers Rudi et intensifie les thèmes en germe dans cette fable sur le deuil, l’absence et la rédemption.
Pour explorer ces thèmes, le film s’évertue à travailler une ambiance japonaise Zen, en communion avec la Nature, tel en témoigne le hanami, la floraison des cerisiers, symbole de la fugacité de l’existence. Un goût de la beauté de l’épure (à l’instar des œuvres d’Hokusai en guise de générique) que la réalisatrice ne sait pas toujours s’approprier. En effet, derrière le film d’auteur, se dissimule un ensemble de travers, d’imperfections de ton. Alors que certains moments frôlent la poésie (Doris Dörrie met en abîme les thèmes de l’éphémère et de la mort à travers le Butoh, un mélange de danse et théâtre expressif nippon), d’autres scènes plus maladroites, glissent dans une mièvrerie proche du téléfilm ou de la sitcom. Une gaucherie qui se retrouve à la mise en scène avec un cadre en mouvement, et une utilisation récurrente du zoom sur une image saturée.
Globalement, le film s’alourdit de séquences trop dialoguées, et s’handicape d’un sentimentalisme redondant. Cherry Blossoms gagnerait à être plus court. Délesté de ses moments parasites, il ne resterait au film que son ossature solide et suffisante. Ainsi épuré, il serait proche de l’idéal de beauté japonais tant recherché. La floraison du cerisier a été éphémère, les pétales sont tombés trop tôt.