Stars absolues de leur vivant, les clowns Foottit et Chocolat, tombés aujourd’hui dans l’oubli, ressuscitent sous la caméra de Roschdy Zem. Ce biopic taillé à l’américaine, délibérément exhaustif et laudatif, revisite la mythologie de ce duo improbable, raillé et admiré, dans un Paris de carte postale nostalgique.
Le racisme sous cloche
En 1897, dans le petit cirque familial Delvaux, George Foottit, ancienne célébrité clownesque cherche à innover. Mais ses numéros ont fait leur temps, le burlesque des chutes et autres cascades et effets de manches ne suscitent plus l’enthousiasme d’antan. La prestation de Tananga, colosse noir, présenté comme un cannibale effrayant lui donne une idée révolutionnaire : proposer des numéros en duo. Le clown blanc autoritaire et l’Auguste, souffre-douleur comique imposent rapidement un nouveau style, instrumentalisant le racisme pour en tirer du rire.
Un des thèmes intrinsèques à Chocolat réside évidemment dans son traitement de la question raciale. Le Blanc s’applique à ridiculiser le Noir pour le plaisir des spectateurs, pour qui un nègre ne peut que susciter la peur ou le rire mais certainement pas le respect (on le lui rappellera cruellement lorsqu’il tentera de sortir de son rôle de clown). En observant à distance temporelle ce racisme ordinaire, le réalisateur installe le public contemporain dans un siège bien confortable. Nulle volonté ici de mettre en résonance la xénophobie du XIXe siècle, crasse et vulgairement assumée et celle du XXIe. Le parallèle est savamment évité, tout comme la prise de conscience politique du héros est expédiée. Acceptant de longues années un traitement humiliant pour les besoins du show, Chocolat s’éveille tardivement à la défense de ses droits (et ne parlons pas de celle de ses concitoyens noirs, simplement absente), thématique escamotée par Zem, alors même qu’elle ne cesse de turlupiner le spectateur du film. La lutte contre la ségrégation n’est qu’une figure imposée, un passage obligé didactiquement mis en scène mais nullement exploré. Seul le spectacle compte. Dont acte.
L’art clownesque
Construit comme une tragédie, la déchéance en ligne de mire pour le personnage qui donne son titre au film, Chocolat déroule son récit programmatique sans grande surprise. La gloire remplace l’anonymat des débuts, charriant son lot de séquences attendues, positives (le relooking façon Pretty Woman, la love story) ou négatives (une enfance meurtrie sous forme de flashbacks ratés, le naufrage dans l’alcool et le jeu), jusqu’au dénouement. Toutefois, si le déroulé scénaristique et une certaine frilosité de réalisation plombent toute velléité d’originalité, tant dans le fond que dans la forme, Chocolat fait montre d’une étonnante vitalité lors des scènes de clowns. Que ce soit avec économie, dans le cirque Delvaux ou avec faste au Cirque d’Hiver dirigé par Oller (Olivier Gourmet), les numéros chorégraphiés par James Thierrée font mouche. Inaugurant ce que sera le comique du cinéma muet quelques années plus tard, les frasques du duo Foottit/Chocolat rivalisent de drôlerie, impliquent la parole et prennent corps sur l’immense piste aux étoiles. Alors que la caméra de Zem tend à la monotonie lors des scènes narratives (plans larges, peu découpés), elle virevolte dès qu’elle suit les acrobaties des deux héros, épousant et remplissant l’espace.
Formidable Thierrée
Spectacle à part entière dans le film, les nombreuses performances du duo démontrent le talent corporel de Sy, toute en élasticité mais aussi et surtout font exploser à l’écran l’immense James Thierrée. Petit-fils de Chaplin, l’artiste connu pour ses pièces mêlant théâtre, voltige, musique, danse (La Symphonie du hanneton ou Tabac rouge) donne ici un aperçu de l’étendue de son talent. Parvenant à effacer la difficulté d’une figure par une plasticité inouïe, l’acteur illumine l’écran, bien qu’il ne soit finalement que le faire-valoir de Chocolat. Car, comme le titre l’indique, le film chemine dans les pas de Rafael, laissant dans l’ombre le créateur du duo. Dommage, trois fois dommage tant l’acteur et son personnage ambigu (Zem distille quelques pistes sur le mystère Foottit mais sans jamais les creuser) auraient mérité un traitement équivalent à celui de Chocolat. Voire un biopic à lui tout seul.
En l’état Chocolat a le mérite de faire découvrir au grand public une star déchue, un artiste noir dans une société blanche et raciste (la visite de l’exposition coloniale rappelle trop superficiellement cette sordide réalité), sans se départir de l’humour inhérent au monde des clowns. Le clin d’œil des frères Podalydès en frères Lumière, dont l’un des films originaux clôt le film, est ainsi une des bonnes idées du film qui, malgré une écriture lisse et cherchant à édifier son monde, recèle en son cœur une vivacité indéniable.