Déjà auteur de quelques longs-métrages, le réalisateur québecois François Delisle n’avait encore jamais connu les faveurs d’une distribution en France. C’est désormais chose faite avec Chorus, production bénéficiant d’un peu plus de moyens que les précédentes, mettant en scène les retrouvailles de Christophe et Irène, séparés suite à la disparition inexpliquée de leur unique enfant, dix ans plus tôt. Entièrement parcouru par la question du deuil impossible, le film a au moins l’originalité de proposer une trajectoire inédite : plutôt que de scruter le lent mais irréversible délitement du couple suite à cette tragédie, il propose au contraire d’explorer le tourment des retrouvailles, après dix ans de béance pendant lesquels chacun a tenté de poursuivre sa vie. Lui s’est un peu lâchement exilé au Mexique, vivotant entre petits boulots et conquêtes d’un jour, elle est restée vivre au Québec pour vivre sa passion du chant et soutenir sa mère. Sauf que l’annonce de la découverte des restes de l’enfant – suite aux aveux du pédophile qui l’avait enlevé – va obliger le père et la mère à se confronter de nouveau à ce qu’ils avaient fini par taire ou refouler. On devine alors aisément à quel point sera difficile cette plongée en eaux troubles : pour cela, le réalisateur ne lésine ni sur le symbolisme appuyé de sa mise en scène, ni sur quelques facilités d’écriture qui laissent planer un désagréable soupçon de complaisance.
Cachez ce drame que je ne saurais voir
Dès la première scène, on se doute assez rapidement ce qui constituera le parti-pris de Delisle dans le traitement de son histoire. Le criminel pédophile, dont on nous expliquera les agissements un peu plus tard, est filmé en plan-séquence en prison lors d’un entretien face à un inspecteur. Il confesse alors avoir abusé puis tué dix ans plus tôt Hugo, un garçon de huit ans, dont la disparition n’avait jamais été élucidée. Si l’impact de cette révélation amènera ensuite le réalisateur à s’intéresser aux parents de la victime, l’angle choisi est donc celui de la révélation dans ce qu’elle peut avoir de spectaculaire. Face à l’ambiance ouatée d’un Québec hivernal filmé en noir et blanc comme si le temps s’était figé, le récit oppose donc le fait divers d’une horreur totale qui force la consternation. Faisant mine de s’intéresser aux bouleversements intimes que cela génère auprès de la famille touchée, ce n’est pourtant pas la pudeur qui étouffe Chorus : entre les petites phrases bien senties censées régler de vieux litiges familiaux, les apparitions insistantes de l’enfant disparu et la multiplication des raccords dans l’axe, le réalisateur ne cesse d’orienter lourdement notre regard. Le paroxysme du malaise est atteint lorsqu’une scène confronte les deux parents endeuillés aux confessions filmées du criminel : le suspense de l’instant tient à la seule révélation des actes commis par l’homme sur l’enfant, comme s’il fallait atteindre un point de non-retour dans l’ignominie pour passer à autre chose. Cette scène difficilement pardonnable fait pourtant écho à une autre, tout aussi maladroite : l’ancien couple, attablé au comptoir d’un café après avoir longuement conversé, se tait soudainement, interpellé par les images de la télévision relatant les atrocités de la guerre en Syrie. L’intérêt douteux de cet insert est-il de mettre en place une graduation dans la représentation de l’inhumanité ?
Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Pourtant, malgré ses limites et ses lourdeurs, Chorus n’est pas totalement dénué de qualités : le personnage d’Irène, notamment, interprété avec une assez belle sensibilité par Fanny Mallette, est probablement le seul qui permette qu’on s’intéresse un peu à cette histoire. Totalement dépassée par les événements, donnant l’impression de se demander ce qu’elle fait là et si tout ce qu’on lui impose est mérité (un peu comme nous, en fait), elle est celle qui nous permet de construire un pont tangible avec le passé. Si les scènes avec sa propre mère (interprétée par l’inattendue Geneviève Bujold) auraient gagné à sortir du champ balisé des vieux règlements de compte familiaux, c’est certainement par l’entremise d’Irène que s’amorce l’une des plus jolies scènes du film : de manière fortuite, elle tombe sur un ancien camarade de classe d’Hugo. Prisonnière du souvenir de son enfant disparu, elle se retrouve face à un garçon devenu un athlétique adolescent de dix-huit ans. Son regard, détaillant furtivement les changements qui ont opéré sur ce corps pendant ces dix années de trou noir, semble prendre soudainement conscience que la vie a continué, malgré tout. Cette étrange et belle parenthèse, Chorus ne sait malheureusement pas quoi en faire de plus : revenant toujours à la valeur symbolique de chacun de ses ingrédients, le scénario table alors sur le fait que le couple, enfin capable de faire son deuil et d’envisager un recommencement (au secours la scène du préservatif usagé rempli de sperme), suivra l’adolescent au concert d’un groupe survolté. Cette énième scène finale (comme il aurait pu y en avoir tant d’autres avant celle-là) se justifie uniquement pour relancer la machine à suspense : le couple endeuillé se remettra-t-il finalement ensemble dans la perspective d’avoir un nouvel enfant ? Malheureusement, à ce stade, on ne s’intéresse plus vraiment à quelle sera la réponse.