11 mars 1978, des milliers d’admiratrices pleurent la disparition de leur idole, Claude François. 14 mars 2012, Florent-Emilio Siri tente de faire revivre le mythe. S’attelant à rendre compte de l’intégralité de la courte (mais intense) vie du chanteur, le réalisateur oscille entre histoire intime et collective. En embrassant trois décennies (des années 1950 aux années 1970), il met aussi en lumière les débuts de la starification, de la surmédiatisation à tout-va et du show à l’américaine, les trois grandes règles qui régissent aujourd’hui le business de la musique.
Est-il besoin de rappeler l’enfance égyptienne de Claude François, aux prises avec l’autoritarisme d’un père tyrannique et d’une mère aimante mais soumise, ou les premiers pas du jeune homme comme batteur dans un groupe de cabaret à Monaco ? Siri a décidé de répondre oui à ces questions, n’éludant dans son film aucun des moments de la vie de l’artiste. Jalonnant le film, ces parcelles « véridiques » (dont on peut douter quand on sait que les enfants de Claude François, défenseurs de sa mémoire sont producteurs) le placent d’emblée dans la filiation des biopics anglo-saxons qui pullulent depuis quelques années (Ray, Ali, Walk the Line…). À l’instar de ces exemples, Cloclo délaisse le parti-pris d’un segment de vie censé éclairer la complexité d’une existence (comme Coluche, l’histoire d’un mec ou Coco Chanel & Igor Stravinsky) pour s’aventurer vers l’édification du mythe en revisitant toutes les étapes marquantes de l’individu, l’enfance portant en son sein les fêlures amenées à être converties en rage de réussite.
Cloclo suit ainsi cette trame biographique (et chronologique) attendue, n’évitant aucun cliché, jusqu’à la séquence tragique de l’électrocution (eh oui, vous y aurez droit !) ou les obsèques du chanteur, un mix d’images d’archives et de reconstitution avec les acteurs. Cette volonté de ne pas choisir une période ou un événement mais au contraire de prôner la toute-puissance de l’exhaustivité biographique, ravira les fans, toujours avides de glaner des anecdotes inédites mais risque de blaser une partie du public. Sorte de roman-photo de la vie de Claude François, Cloclo est très plan-plan.
Heureusement pour les spectateurs, Florent-Emilio Siri n’est pas qu’un « yes-man » asservi aux desiderata des producteurs. S’appuyant sur l’excellente prestation de Jérémie Renier qui réussit à incarner toutes les facettes du personnage (star odieuse, mari lâche et jaloux, homme peu sûr de lui, père quasi inexistant…), le metteur en scène parvient à oublier un temps les rails narratifs prévisibles du biopic pour travailler cinématographiquement sa matière. Maîtrisant le plan-séquence, il offre deux scènes bluffantes d’immersion. Lors d’une fête au Moulin (la demeure de Claude François en région parisienne), on suit la maîtresse de maison dans le dédale des pièces où festoient les invités. La déambulation s’achève au seuil d’une petite salle de jeu isolée du reste de la demeure dans laquelle se cache un des fils de l’idole (à l’époque la révélation de l’existence d’une « vraie » famille aurait pu contrarier ses admiratrices, d’où le silence sur son deuxième enfant). Quant au second moment de bravoure du film, il met en scène Claude sortant de son appartement parisien. Assailli par ses fans, il s’assied au volant de sa voiture de sport pour rejoindre ses bureaux, situés à quelques centaines de mètres plus loin. Son chemin est jalonné de midinettes énamourées, auquel il accorde un regard distrait (sauf lorsqu’il en trouve une à son goût). Alors qu’il arrive à destination, d’autres jeunes filles l’attendent déjà, tandis que dans son rétroviseur, d’autres le pourchassent encore… Cette omniprésence du public, sorte d’œil de Moscou de l’entertainment, parfaitement rendue par l’usage du plan-séquence, raconte mieux que de longues palabres le destin d’un homme éminemment seul et pourtant sans cesse entouré, cerné de regards et d’attentions.
Brossant le panégyrique d’une star française avec les artifices scénaristiques d’un biopic à l’américaine, Cloclo s’essaie à l’art difficile de la biographie. Trop fidèle à l’image d’Épinal de Claude François, collant trop à la colonne vertébrale narrative du dithyrambe académique, le film tient toutefois en haleine le public grâce aux prouesses de son acteur principal et à l’honnêteté de son réalisateur, fan parmi les fans. Finalement, Cloclo parle d’un petit Français fasciné par l’Amérique. À travers son destin se dessine en filigrane l’admiration d’un autre Français pour les States, le réalisateur lui-même, Florent-Emilio Siri.